Les éditions critiques numériques

Présenter une édition numérique de fragments

Présenter une édition numérique de fragments

Du texte aux données

Estelle Debouy

Estelle Debouy, « Présenter une édition numérique de fragments », dans Robert Alessi, Marcello Vitali-Rosati (dir.), Les éditions critiques numériques : entre tradition et changement de paradigme (édition augmentée), Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2023, isbn : 978-2-7606-4857-9, https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/12-editionscritiques/chapitre6.html.
version 0, 27/03/2023
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)

Chaque type d’édition critique soulève des questions et des problèmes particuliers. Nous avons vu quels sont les enjeux concernant une édition critique d’un texte inachevé en analysant le cas du Timaeus de Cicéron. Nous allons maintenant nous concentrer sur le cas d’une édition de fragments. Dans le cadre de ce chapitre, il sera question de l’édition des fragments des atellanes, des comédies latines en vogue au Ier siècle av. J.-C. Les implications sont très spécifiques – expliciter le contexte de chaque fragment, par exemple – et les choix épistémologiques se révèlent et se précisent dans des décisions techniques spécifiques. Cette étude montrera les possibilités offertes par le paquet LaTeX ekdosis, qui permet à la fois de produire un texte imprimable qui respecte les conventions éditoriales de l’édition critique et des données, exprimées en TEI xml. L’application pratique et l’aspect technique restent toujours profondément liés aux considérations théoriques. En ce sens, nous montrerons en quoi le choix d’un environnement spécifique d’écriture (LaTeX), d’un paquet particulier et de pratiques d’encodage résulte d’une réflexion méthodologique et épistémologique sur ce qu’est un texte ou un fragment, et sur la façon dont le sens peut émerger dans l’acte d’interprétation.

Éditer un texte ancien, c’est retrouver une tradition, c’est essayer de remonter de nos documents à l’original dont on est séparé par des intermédiaires plus ou moins nombreux, parfois perdus ou fragmentaires. Dans cette enquête, il arrive que l’on puisse consulter directement les manuscrits qui contiennent l’œuvre de l’auteur. On doit parfois en revanche déplorer la perte des manuscrits de l’œuvre et se contenter d’aller chercher ce qu’il en reste dans des fragments disséminés çà et là, chez des auteurs qui les citent pour des raisons à chaque fois différentes et qui leur sont propres.

Quand on édite des fragments, il faut donc prendre en compte une double caractéristique : il convient d’éditer les citations des fragments eux-mêmes, mais également le contexte où ces citations apparaissent, car c’est à cette condition qu’il est possible de proposer une lecture interprétative et scientifique du texte. Le format numérique permet précisément d’atteindre ce double but, puisqu’il a l’avantage de dépasser les limites des collections relevant de la culture de l’imprimé, où les citations sont souvent reproduites sous la forme d’extraits sortis de leur contexte. Les responsables du projet LOFTS (Leipzig Open Fragmentary Texts Series) (2018, 223‑34), qui s’insère dans l’Open Philology ProjectCf. « The Open Philology Project and Humboldt Chair of Digital Humanities at Leipzig ».↩︎, ont précisément eu pour ambition de numériser des éditions imprimées d’œuvres fragmentaires tout en faisant des liens vers les sources. Un extrait de l’édition des Digital Fragmenta Historicorum Graecorum (DFHG), où l’on peut consulter les fragments de l’historien grec Antiochus dans une édition numérique qui reproduit l’édition imprimée de Müller (1841–1873), peut ici servir d’illustration :

Figure 6.a – Capture de deux fragments d’Antiochus (projet DFHG)

Crédits : Toutes les images sont produites par l’auteur.

Comme l’explique M. Berti, il ne s’agit pas ici d’édition numérique première, mais d’un « digital experiment » qui permet, entre autres, de présenter le fragment lui-même et, en regard, le témoin chez qui il est conservé. S’il est bien question d’édition numérique, il ne s’agit pas pour autant d’édition critique numérique, puisque le texte est présenté sans apparat critique. Comme je l’ai déjà montré (2021a), il existe aujourd’hui très peu d’éditions qui soient à la fois numériques et critiques. En effet, présenter une édition critique numérique – de fragments qui plus est – consiste dans :

Bien entendu, le texte lui-même peut également être enrichi de commentaires, traductions multiples, annotations grammaticales, métriques, etc. Grâce à l’encodage TEI, le texte et son apparat, ainsi que tous les éléments que l’éditeur aura choisi d’encoder, peuvent être transformés en une base de données complète et consultable par le lectorat en fonction de ses besoins : il n’est plus seulement question de donner un texte à lire, à la façon des éditions imprimées, mais bien de fournir en même temps un jeu de données qui permettront de nouvelles analyses. Quand il s’agit d’éditer un texte, c’est souvent la saisie directe en TEI qui est adoptéeCitons par exemple les éditions réalisées à l’université de Caen en lien avec le pôle Document numérique qui déclare adopter « une méthodologie orientée données ». Citons aussi les projets menés par S. J. Huskey et H. A. Cayless dans le cadre de la Digital Latin Library (2020).↩︎. Une fois l’édition encodée en TEI, le code xml est ensuite transformé en fichier LaTeX pour produire un fichier au format PDF. Mais il est aussi possible de faire le choix inverse, qui consiste à partir du format LaTeX (en l’occurrence LuaLaTeX), pour produire ensuite à la fois un fichier PDF et un fichier TEI.

C’est ce qu’a fait Robert Alessi en développant le logiciel ekdosisCf. « ekdosis – Typesetting TEI-xml compliant Critical Editions », Alessi (2020a).↩︎ : tous les éléments constitutifs de l’édition sont saisis dans un fichier source LaTeX et sont ensuite exportés aussi bien vers un fichier PDF que vers un fichier TEI qui pourra être l’objet de requêtes. Cette démarche repose sur le constat que LaTeX, contrairement à xml, est un langage naturellement conçu pour être utilisé dans la composition de documents complexes, telles les éditions critiques où les notes de bas de page et autres types d’annotations peuvent être particulièrement abondantes. Cette approche permet à l’éditeur d’écrire l’apparat critique sous la forme d’un paragraphe continu, librement rédigé en latin, tout en encodant strictement les données dans le fichier de sortie TEI.

C’est plus particulièrement aux stratégies d’encodage des fragments en contexte que je vais m’intéresser ici. Après avoir étudié comment saisir texte et variantes avec le logiciel ekdosis, je présenterai les deux approches qui peuvent être envisagées pour éditer le contexte dans lequel les fragments apparaissent.

Texte et contexte

Afin d’illustrer ma démonstration, je m’appuierai sur l’édition des fragments des atellanes. Il s’agit de comédies, mettant en scène des personnages types, qui furent en vogue sous Sylla et auxquelles deux auteurs latins, Pomponius et Novius (Ier s. av. J.- C.), donnèrent leurs lettres de noblesse. Aucune pièce atellane n’est connue dans son intégralité : il nous reste soixante-et-onze titres d’atellanes écrites par Pomponius, et quarante-quatre par Novius. On peut supposer que c’est parce que l’atellane était passée de mode à l’époque où ont été élaborés les programmes que nous avons conservés qu’elle ne figure pas parmi les œuvres enseignées aux jeunes Romains. C’est grâce à la tradition grammaticale et, essentiellement, à Nonius (IVe s. apr. J.-C.) que ces pièces nous ont été transmises. Le témoignage des grammairiens est d’autant plus précieux que, contrairement à d’autres auteurs qui donnent un résumé de la pensée de ceux qu’ils citent ou qui se contentent d’allusions, ce sont des citations verbatim qu’ils nous transmettent. Et dans l’utilisation de leurs sources, grammairiens et compilateurs respectent strictement le sens immédiat des textes qu’ils citent, nous offrant ainsi une transmission textuelle digne d’une certaine confiance, contrairement à la tradition littéraire. Ainsi le grammairien Nonius, pour composer son dictionnaire, le De compendiosa doctrinaLe titre de ce dictionnaire est habituellement cité en latin. Il signifie littéralement « l’instruction en abrégé » : il s’agit d’un livre que Nonius dédie à son fils afin de lui faire comprendre le bon usage de la langue à partir des auteurs anciens.↩︎, choisit des extraits d’auteurs pour illustrer l’emploi d’un mot ou d’une locution rare. Ce dictionnaire s’avère donc une source précieuse de textes perdus qu’il faut pouvoir encoder de façon à les identifier, les analyser et les extraire. À titre d’exemple, voici un extrait du dictionnaire où Nonius étudie la forme verbale abscondit employée à la place de abscondidit (1903, 106) :

Planche 6.a – Extrait du dictionnaire de Nonius

Crédits : Toutes les images sont produites par l’auteur.

Dans cet extrait, on voit que Nonius cite deux auteurs pour illustrer son proposNonius, qui s’intéresse aux faits de langue présentant des irrégularités, retient leur usage chez ceux qu’il qualifie de « bons auteurs », les honesti auctores, c’est-à-dire les auteurs ayant vécu avant Auguste (il ajoute cependant Virgile et exclut les poètes nouveaux comme Catulle par exemple).↩︎, Caecilius et l’auteur d’atellanes Pomponius, qui emploient tous les deux la forme étudiée par le grammairien. Le contexte dans lequel est cité le fragment d’atellane permet ici de confirmer la leçon abscondisti qu’on lit dans la plupart des manuscrits contre abscondidisti qu’on lit dans le manuscrit HLe contexte ne permet pas seulement d’éclairer le choix de l’éditeur de texte : dans le cas des atellanes, il permet aussi d’ordonner les fragments qui nous sont parvenus. Cf. Estelle Debouy (2021b).↩︎. Il est donc très utile, dans une édition de fragments, de faire figurer le contexte où ils sont cités. Avant d’étudier les différentes stratégies possibles, voyons d’abord comment encoder texte, variantes et traduction afin d’obtenir un jeu de données disponibles pour l’analyse.

L’encodage du texte et des variantes

Le préambule

La première chose à faire est de charger le package ekdosis en ajoutant dans le préambule du fichier source LaTeX la ligne suivante qui produira à la fois le fichier PDF et le fichier TEI :


\usepackage[teiexport=tidy]{ekdosis}

Il convient ensuite, avant de saisir l’édition elle-même, de déclarer un certain nombre d’éléments qui doivent, là encore, être ajoutés dans le préambule :

  1. Les apparats : ils se présenteront sous la forme de deux étages de notes critiques, l’apparatus testium (ou testimonia) et l’apparat critique. C’est la commande \DeclareApparatus qui permet de déclarer chaque apparat. On écrira par exemple \DeclareApparatus{testium} pour déclarer l’apparat présentant les témoins.

  2. Les témoins (manuscrits) : on les déclare avec la commande \DeclareWitness. En voici un exemple :

    \DeclareWitness{F}{\emph{F}}{\emph{Florentinus} (Laur. 48,1)}
                      [origDate={\textsc{ix} s.}]

    où le premier argument correspond à l’identifiant du témoin qui sera utilisé comme xml:id, le deuxième argument est le signe qui sera utilisé dans l’apparat critique, et le dernier argument présente une courte description nécessaire à la construction du conspectus siglorum qui apparaîtra au début de l’édition. Ce qui figure entre crochets droits à la fin de la commande est optionnel.

  3. Les sources : ce sont les conjectures ou les notes lues chez tel ou tel éditeur moderne. On utilisera la commande \DeclareSource. En voici un exemple : \DeclareSource{Fras}{Frassinetti}, où Frassinetti est l’éditeur à qui l’on doit l’édition la plus récente des atellanes (1967).

    Cependant pour déclarer les corrections ou conjectures de l’éditeur même (souvent introduites par scripsi ou addidi), on utilisera la commande \DeclareScholar. On pourra ainsi écrire : \DeclareScholar{ego}{\emph{scripsi}}, où le second argument permet d’indiquer le rendu souhaité dans la version imprimée de l’apparat.

La saisie de l’édition

Il est maintenant possible de commencer à saisir l’édition critique. L’encodage des variantes sous LaTeX rappelle la syntaxe TEI comme le montre l’exemple ci-dessous :


  \begin{ekdosis}
    \begin{ekdverse}
     \note[type=testium, labelb=Nonius.106,
      lem=Abscondit -- nates]{\icite[106]{Lindsay1903}}
      Perii! Non puellula est! Nunc quid
        \app{
          \lem[wit={E, F, L, P, W}]{abscondisti}
          \rdg[wit={H}]{abscondidisti}}
       inter nates.\\!
    \end{ekdverse}
  \end{ekdosis}
  

On constate que l’édition est saisie dans l’environnement ekdosisJe ne commente pas l’environnement ekdverse utilisé ici pour présenter des vers.↩︎. L’option type= spécifie le nom de l’étage de notes concerné (il s’agit ici de l’apparatus testium déclaré dans le préambule), lem= désigne, pour le lectorat, l’empan de texte sur lequel porte la note et labelb (de même que labele) est un marqueur qui insère dans le code TEI une ancre permettant à l’ordinateur d’identifier l’empan de texte (labelbeginlabelend). Précisons enfin que dans notre exemple la référence à Nonius, qui cite le vers d’atellane édité, est appelée à partir de la commande \icite{} qui va chercher les données bibliographiques saisies préalablement dans une base de données bibliographiques (cf. Alessi 2020c).

Les différents éléments de l’apparat critique – ici les lemmes et les variantes – sont insérés grâce à la commande \app. On distingue alors la leçon retenue, saisie avec la commande \lem, des variantes rejetées par l’éditeur, saisies avec la commande \rdg (pour reading).

L’alignement du texte et de la traduction

ekdosis permet aussi de présenter un texte et sa traduction en regard, sur la même page ou sur deux pages en vis-à-vis. Il est également possible d’aligner le texte et plusieurs traductions (par exemple si le texte a été conservé, au fil des siècles, dans plusieurs langues) ou encore d’aligner différentes recensions d’un même texte. Il faut alors utiliser l’environnement alignmentOn observe dans l’exemple qui suit que plusieurs options ont été ajoutées : l’option tcols définit le nombre total de colonnes de texte à aligner ; et l’option lcols définit le nombre total de colonnes à imprimer sur la page de gauche. La valeur par défaut est 1 pour une présentation de l’édition et de la traduction sur deux pages en vis-à-vis. Dans notre exemple, la valeur choisie est 2 pour une présentation sur une même page.↩︎. Reprenons, à titre d’exemple, le passage précédemment édité :


  \begin{alignment}[tcols=2, lcols=2]
   \begin{edition}
    \begin{ekdverse}
     \note[type=testium, labelb=Nonius.106,
     lem=Abscondit -- nates]{\icite[106]{Lindsay1903}}
      Perii! Non puellula est! Nunc quid
        \app{
          \lem[wit={E, F, L, P, W}]{abscondisti}
          \rdg[wit={H}]{abscondidisti}}
       inter nates.\\!
    \end{ekdverse}
   \end{edition}
  
   \begin{translation}
   Je suis perdu: ce n'est pas une fille! Mais qu'as-tu caché entre
      tes fesses?
   \end{translation}
  \end{alignment}
  

Une fois l’environnement alignement ouvert, deux environnements sont ensuite utilisés, edition et translation, le premier pour saisir l’édition et l’apparat critique (à gauche), et le second pour la traduction (à droite). Ce comportement par défaut peut être modifié grâce à l’option texts= qui permet de définir les noms donnés aux différentes colonnes à aligner.

Après compilation, le logiciel ekdosis produit automatiquement à la fois le fichier PDF et le fichier TEI correspondant, où des xml ids ont été attribués aux deux environnements définis dans le fichier source .tex. Le texte et ses variantes se présentent donc maintenant sous la forme de données qu’il est possible d’analyser : l’instance éditoriale peut ainsi, par exemple, reconstituer tout le texte d’un manuscrit donné ou encore dresser des listes de fautes afin de déterminer des familles de manuscrits. Si pour le moment l’encodage s’est concentré sur l’édition critique à proprement parler, il serait intéressant d’encoder également le texte des fragments eux-mêmes, car la langue est riche en hapax, formes rares, noms propres, etc. Voyons pour finir comment encoder le contexte dont j’ai montré l’utilité plus haut.

L’encodage du contexte

Deux approches peuvent être envisagées :

  1. Éditer les fragments (texte et traduction) et ajouter une colonne pour le contexte. Cette méthode est pertinente quand les citations sont disséminées chez plusieurs auteurs.

  2. Éditer le texte de l’auteur qui a transmis les fragments et donner la possibilité de les extraire. Cette méthode est à privilégier en revanche quand les citations se trouvent dans un seul et même auteur.

Première approche

Elle consiste à éditer les fragments eux-mêmes et à citer en regard le contexte d’où ils sont tirés. C’est l’environnement context qu’on va définir à cette fin :


  \begin{alignment}[tcols=2, lcols=2, texts=context;edition]
    \begin{context}
      Abscondit pro abscondidit. Pomponius Maccis Geminis.
    \end{context}
  
    \begin{edition}
     \begin{ekdverse}
      \note[type=testium, labelb=Nonius.106,
      lem=Abscondit -- nates]{\icite[106]{Lindsay1903}}
      Perii! Non puellula est! Nunc quid
        \app{
          \lem[wit={E, F, L, P, W}]{abscondisti}
          \rdg[wit={H}]{abscondidisti}}
      inter nates.\\!
     \end{ekdverse}
    \end{edition}
  \end{alignment}
  

Comme on l’a vu précédemment, le comportement par défaut de l’environnement alignement a été modifié de façon à ajouter une colonne dans laquelle figurera le contexte où apparaissent les fragmentsLa taille des colonnes peut être redéfinie par l’utilisateur grâce à la commande \columnratio placée avant l’environnement alignement.↩︎. On comprend que l’auteur grâce à qui les fragments sont parvenus est Nonius – il est cité dans l’apparatus testium – , que le passage où apparaît le fragment se trouve p. 106 (éd. Lindsay) du dictionnaire du grammairien et que ce dernier cite le vers d’atellane à l’occasion de l’étude du mot abscondit. Examinons ici :

Figure 6.b – Édition de fragments : contexte en regard

Crédits : Toutes les images sont produites par l’auteur.
<teiHeader>
    <encodingDesc>
        <variantEncoding method="parallel-segmentation"
        location="internal" />
    </encodingDesc>
  </teiHeader>
    <text>
      <body>
      <div xml:id="div-context_1">Abscondit pro
        abscondidit. Pomponius Maccis Geminis.</div>
      <div xml:id="div-edition_1">
          <lg>
            <l>
            <note type="testium" target="#right(Nonius.106)">cf.
            <ref target="#Nonius">106</ref></note>
            <anchor xml:id="Nonius.106" />Perii! Non puellula est!
            Nunc quid
            <app>
              <lem wit="#E #F #L #P #W">abscondisti</lem>
              <rdg wit="#H">abscondidisti</rdg>
            </app>inter nates.</l>
          </lg>
      </div>
      </body>
     </text>

Comme on le voit, l’encodage du contexte est global et permet seulement d’isoler le texte du témoin de celui de l’auteur étudié. On pourrait imaginer dans un second temps un encodage plus fin : il serait certainement intéressant d’encoder les mots étudiés par le compilateur Nonius (ici les formes verbales qui présentent des irrégularités) ; il faudrait également s’intéresser aux noms des autres auteurs cités comme sources au même titre que les auteurs d’atellanes. On a vu plus haut que dans notre exemple l’auteur d’atellanes Pomponius est cité avec un autre auteur comique, Caecilius. Peut-être serait-il ainsi possible de déterminer des similitudes entre le style de différents auteurs.

Seconde approche

Si les fragments n’ont été transmis que par un seul témoin, une autre méthode d’encodage semble plus adaptée, qui consiste à éditer le texte du témoin dans un paragraphe séparé (ici dans un environnement ekdpar) et à isoler les fragments dans un environnement qu’on pourra nommer segment :


  \begin{edition}
   \begin{ekdpar}
    Abscondit pro abscondidit. Pomponius Maccis geminis:
   \end{ekdpar}
  
   \begin{segment}
      \begin{ekdverse}
      \note[type=fontium, labelb=Pomponius.67,
            lem=Perii -- nates]{cf. \icite[67]{Pomponius}}
       Perii! Non puellula est! Nunc quid
       \app{
         \lem[wit={E, F, L, P, W}]{abscondisti}
         \rdg[wit={H}]{abscondidisti}}
       inter nates.\\!
      \end{ekdverse}
   \end{segment}
  \end{edition}
  

On comprend ici que le grammairien Nonius, qui étudie le mot abscondit, cite à titre d’illustration un vers d’atellane de Pomponius tiré de la pièce Maccis geminis. On remarque que c’est le nom de Pomponius, et non celui du témoin Nonius, qui apparaît désormais dans l’apparat puisqu’il s’agit de présenter un apparatus fontium et non plus un apparatus testiumSamuel J. Huskey et Hugh A. Cayless expliquent bien en quoi un apparatus testium diffère d’un apparatus fontium : alors que ce dernier liste les références aux auteurs cités dans le texte de l’édition lui-même, le premier liste les références aux auteurs qui citent le texte édité (cf. Samuel J. Huskey et Cayless 2020).↩︎. Le fichier PDF produit ne fait donc plus apparaître le contexte en regard des fragments mais au contraire au sein de l’édition elle-même comme on le voit sur la figure suivante (le fragment a été colorié en bleu pour plus de clartéUne commande a été ajoutée dans le préambule du fichier source LaTeX afin que les numéros des vers d’atellanes soient précédés du préfixe at- de façon à les distinguer du texte du grammairien Nonius qui les cite.↩︎).

Figure 6.c – Édition du texte du compilateur

Crédits : Toutes les images sont produites par l’auteur.

Le fichier TEI produit est le suivant :

<teiHeader>
    <encodingDesc>
        <variantEncoding method="parallel-segmentation"
        location="internal" />
    </encodingDesc>
  </teiHeader>
    <text>
      <body>
    <div xml:id="div-edition_1">
          <p>Abscondit pro abscondidit. Pomponius Maccis geminis:</p>
          <seg type="atellanes" xml:id="edition_1_1">
            <lg>
              <l>
              <note type="fontium" target="#right(Pomponius.67)">
                <ref target="#atellanae">67</ref>
              </note>
              <anchor xml:id="Pomponius.67" />Perii! Non puella est!
              Nunc quid
              <app>
                <lem wit="#E #F #L #P #W">abscondisti</lem>
                <rdg wit="#H">abscondidisti</rdg>
              </app>inter nates.</l>
            </lg>
          </seg>
    </div>

Conclusion

Au terme de cette étude, on a pu voir comment présenter une édition critique numérique, et plus particulièrement une édition de fragments. Après avoir montré quelles étaient les contraintes propres à la nature même de ces textes, nous avons expliqué comment il était possible, avec le logiciel ekdosis, d’encoder les différents éléments constitutifs de l’édition afin de donner non seulement un texte à lire, mais en même temps un jeu de données permettant de nouvelles analyses. L’apparat critique est ainsi rédigé en LaTeX, de façon continue, sous la forme d’un paragraphe indépendant placé au bas de chaque page et détaché des mots sur lesquels portent les variantes. La production d’un fichier xml, secondairement, consiste à extraire de ce paragraphe les variantes dépouillées d’annotations, ainsi que toutes les données qui auront été structurées, pour les soumettre à une machine à des fins d’exploration et d’analyse.

Pour l’édition des fragments d’atellanes que j’ai réalisée, j’ai saisi avec ekdosis tous les fragments dans un fichier LaTeX et, sur le modèle de la dernière version imprimée de l’édition de Frassinetti, j’ai fait figurer deux appareils de notes, l’un présentant les testimonia (essentiellement constitués des références au compilateur Nonius) et l’autre présentant les variantes textuelles. Le logiciel a généré automatiquement un fichier PDF pour la lecture et l’impression, et un fichier TEI pour l’analyse. C’est la première approche que j’ai présentée plus haut. Dans un second temps, j’ai regretté de ne pas avoir fait apparaître à part entière le contexte dans lequel les fragments avaient été cités. C’est pourquoi j’ai repris le fichier source LaTeX, que j’ai modifié de façon à intégrer le texte de Nonius ; dans cette dernière version de mon édition, le premier appareil de notes présente les références aux auteurs d’atellanes en tant que sources du compilateur, comme on l’a vu dans la seconde approche exposée ici. J’ai donc voulu, dans le cadre de cette contribution, retracer le cheminement qui m’a conduite à repenser l’encodage de mon édition de façon à intégrer tous les éléments constitutifs d’une édition numérique de fragments qui puisse se présenter à la fois comme un texte à lire et comme une somme de données disponibles pour l’exploration et l’interprétation.

Contenus additionnels

Guidelines for Encoding Critical Editions for the Library of Digital Latin Texts

Crédits : Samuel J. Huskey (university of Oklahoma) et Hugh Cayless (Duke Collaboratory for Classical Computing), Digital Latin Library

Source (archive)

Ekdosis : Typesetting TEI xml-Compliant Critical Editions

Crédits : Robert Alessi, CTAN, Free Documentation License – GNU General Public License, version 3 or newer

Source (archive)

Références
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Alessi, Robert. 2020a. Ekdosis Typesetting TEI Xml Compliant Critical Editions. https://mirrors.ctan.org/macros/luatex/latex/ekdosis/ekdosis.pdf.
———. 2020b. « Ekdosis: Using LuaLaTeX for Producing TEI Xml Compliant Critical Editions and Highlighting Parallel Writings ». Journal of Data Mining & Digital Humanities Special Issue on Collecting, Preserving, and Disseminating Endangered Cultural Heritage for New Understandings through Multilingual Approaches. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02779803.
———. 2020c. icite - Indices locorum citatorum. https://mirrors.ctan.org/macros/latex/contrib/icite/icite.pdf.
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Apollon, Daniel, et Claire Belisle. 2014. « The Digital Fate of the Critical Apparatus ». Édité par Daniel Apollon, Claire Belisle, et Philippe Régnier. Digital Critical Editions, 81‑113. https://www.jstor.org/stable/10.5406/j.ctt6wr6r8.8.
Berti, Monica. 2018. « Annotating Text Reuse within the Context: The Leipzig Open Fragmentary Texts Series (LOFTS) ». Text, Kontext, Kontextualisierung. Moderne Kontextkonzepte Und Antike Literatur, 223‑34.
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Cayless, Hugh A. 2018. « Critical Editions and the Data Model as Interface ». Édité par Roman Bleier, Martina Bürgermeister, Helmut W. Klug, Frederike Neuber, et Gerlinde Schneider. Digital Scholarly Editions as Interfaces 12: 249‑63. https://kups.ub.uni-koeln.de/9119/.
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Estelle Debouy

Docteur en études latines de l’université de Paris-Ouest, Estelle Debouy enseigne en qualité de professeur agrégé (PRAG) à l’université de Poitiers où lui sont confiés des cours de langues anciennes et d’humanités numériques. Ses travaux portent principalement sur l’atellane et sur l’apport des humanités numériques aux études classiques. Elle prépare actuellement l’édition critique en ligne au format TEI-xml des fragments d’atellanes. Voir son site personnel et ses publications sur HAL.