L’agir en condition hyperconnectée

How to do cities with words. Ville, espace et littérature à l’ère hyperconnectée

How to do cities with words. Ville, espace et littérature à l’ère hyperconnectée

Enrico Agostini Marchese

Enrico Agostini Marchese, « How to do cities with words. Ville, espace et littérature à l’ère hyperconnectée », L’agir en condition hyperconnectée : art et images à l’œuvre (édition augmentée), Presses de l’Université de Montréal, Montréal, isbn:978-2-7606-4297-3, https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/11-agir/chapitre2.html.
version 01, 22/09/2020
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)

Désolidarisée de la position fixe de l’ordinateur du bureau, la connexion devenue hyper est non seulement intégrée à l’espace urbain et à ses structures, mais se fait désormais par l’intermédiaire des dispositifs mobiles que nous avons avec – et sur – nous à tout moment et à tout endroit. Ce texte étudie la condition hyperconnectée sous l’angle de la mobilité, de la littérature numérique et de l’espace urbain. En analysant deux projets littéraires portant sur le rapport entre images de la ville et hyperconnexion, Les lignes de désir (2016) de l’écrivain français Pierre Ménard et le chantier collaboratif montréalais Dérives (2010-), il pousse à réfléchir à certains changements que les technologies numériques apportent à la ville, ainsi qu’à la manière dont la littérature peut s’emparer de ces dernières afin de produire de nouveaux imaginaires spatiaux.

Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner.
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974).

EverywareEveryware est le mot inventé par Adam Greenfield pour décrire la naissance de l’information ubiquitaire (Greenfield 2006).

, ubiquitous computing, connexion ambiante, condition hyperconnectée, hypersphère… Dans la dernière décennie, les chercheur.se.s de tous domaines confondus ont qualifié de nombreuses manières, selon les différents points de vue adoptés, les résultats des changements engendrés par l’introduction des dispositifs mobiles d’abord, les protocoles de connexion internet mobile ensuite et, enfin, la commercialisation massive d’appareils dotés d’une technologie de géolocalisation satellitaire. Ces trois étapes, considérées en tant que moments heuristiques et non pas comme des périodes chronologiques à part entière, marquent autant de petites révolutions dans notre rapport quotidien avec la technologie. Si les dispositifs mobiles ayant une connexion internet haut débit (3G) ont fait leurs premières apparitions sur le marché en 2000Pour une petite histoire de la connexion 3G, je renvoie à la page Wikipédia.

, c’est à partir de 2008, date de sortie du premier téléphone intelligent doté d’un système de géolocalisation basé sur la technologie GPS (Global Positioning System), que l’on peut affirmer être véritablement entré dans une ère « hyperconnectée » où le monde physique et le monde virtuel se mélangent et s’hybrident de plus en plus, où « les espaces avec lesquels nous interagissons au quotidien sont remplis de données – images, pensées, revues et documentation historique – agrégées en des morceaux d’information accessibles et utilisables » (ma traduction, Gordon et Souza e Silva 2011, 1).

Parmi les domaines les plus touchés par l’arrivée de l’hyperconnexion, les études sur l’espace (Dodge et Kitchin 2011 ; Beaude 2012), les médias géolocalisés (Nova 2009) et la mobilité (Souza e Silva et Sheller 2015) occupent aujourd’hui une place centrale, avec des répercussions de plus en plus grandes, comme remarqué par Jonathan Donner (Donner 2016). Si en 2008, on pouvait compter aussi peu que 200 articles (en anglais) sur le thème, en 2015, un calcul exhaustif est devenu impossible (Donner 2016). Chef.fe.s de file incontestés du mouvement qui fait de l’espace le sujet central de leurs intérêts ont été et sont toujours les artistes, avec leurs détournements et leurs expérimentations autour d’une technologie exploitée en premier lieu pour des fins commerciales (O’Rourke 2013) : ce n’est donc pas par hasard que l’on doit l’expression anglaise locative media (média géolocalisé) à un artiste, le Canadien Karlis KalninsPour une perspective plus actuelle sur la géolocalisation et les arts, je renvoie au site internet du GPS Museum.

(Zeffiro 2012).

Ce contexte foisonnant, issu de la confrontation avec les études sur les nouvelles technologies et les nouveaux médias, se présente comme la version contemporaine, technologique et hyperconnectée, du mouvement pluridisciplinaire qui, dans les années 1960, mit l’espace au centre du discours savant, mouvement que l’on appelle spatial turn (en français : tournant spatial) (Warf et Arias 2008). Un des domaines parmi les plus actifs dans le tournant spatial a été sans conteste celui des études littéraires. Non seulement les chercheur.se.s ont relu les auteur.rice.s ou les œuvres du passé à la recherche de motifs spatiaux, tels que la ville (Mullin 2016 ; Tambling 2016), mais ils et elles ont développé une panoplie de nouvelles méthodes et de nouvelles approches pour l’étude des rapports entre espace et littérature : géopoétique, narratologie de l’espace, géocritique, etc. (Ziethen 2013).

Cependant, lorsqu’on regarde de plus près ce qui se passe actuellement dans la pratique et dans la théorie de la littérature au moment du tournant technologique de notre rapport à l’espace, on a l’impression d’un rendez-vous raté, du moins en ce qui concerne le monde francophoneC’est dans le domaine des sciences de l’information et de la communication que l’on trouve la plupart des chercheurs et des chercheuses qui se penchent sur notre rapport à l’espace à l’ère du numérique : outre Nicolas Nova et Boris Beaude, Laurence Allard notamment est une des chercheuses les plus impliquées dans ce domaine. Pour un approfondissement de son travail, je renvoie à son blogue sur la culture mobile.

. Les auteur.rice.s revendiquant une démarche spécifiquement littéraire n’arrivent qu’à effleurer un domaine, celui de la production artistique – au sens large – géolocalisée, qui est encore dominé par les artistes – par conséquent, les études littéraires sur la géolocalisation demeurent quelque peu rares, alors que la littérature a été un vecteur très puissant pour la compréhension et la structuration de l’identité humaine.

C’est à l’intérieur de ce contexte que je voudrais analyser deux projets littéraires qui, par contre, font de la géolocalisation un des thèmes centraux d’une poétique de l’espace urbain : Dérives, chantier collaboratif montréalais qui se déploie sur des sites web et sur les réseaux sociaux, et Les lignes de désir, récit pour dispositifs mobiles de l’écrivain français Pierre Ménard.

Dérives est un chantier regroupant plusieurs écrivain.e.s montréalais.es qui montre, en filigrane, l’évolution de l’écriture numérique au fil des années : né en 2010, grâce à la rencontre initiale d’un noyau d’auteur.rice.s qui à l’époque habitaient principalement dans le quartier Hochelaga, le chantier se déroulait sur le mode du troc d’éléments créatifs via les sites web et les blogues des auteur.rice.s. C’est en 2011 que la plupart des échanges ont migré sur la plateforme de microblogging Twitter, à travers l’utilisation des mots-clics (hashtags) #dérive et #nomdelieu. Après deux tentatives vite abandonnées de constituer ce que les participant.e.s appelaient « le quartier général », à savoir un site internet chargé de la fonction d’entreposage des échanges, aujourd’hui c’est l’espace numérique de Twitter qui se trouve chargé d’accueillir la quasi-totalité de ce projet.

Capture d’écran du site Dérive(s)

De plus, mais de façon assez minoritaire, les écrivain.e.s participant.e.s investissent aussi d’autres plateformes : Instagram, Tumblr et plusieurs blogues et sites personnels.

Capture d’écran du site, actuellement hors ligne, de Victoria Welby, disponible via la Wayback Machine d’Archive.org
Capture d’écran du blog de Benoit Bordeleau, Hoche’Élague.

Capture d’écran du blog de Benoit Bordeleau, actuellement hors ligne, Le Plate, disponible via la Wayback Machine

Crédits : Benoit Bordeleau

Proposé par auteur le 2020-09-22

Capture d’écran du blog de Benoit Bordeleau, actuellement hors ligne, Vournussages, disponible via la Wayback Machine

Crédits : Benoit Bordeleau

Proposé par auteur le 2020-09-22

Capture d’écran du blog de Benoit Bordeleau, notes de terrain / lignes de fuite

Crédits : Benoit Bordeleau

Proposé par auteur le 2020-09-22

Capture d’écran du blog d’Alice van der Klei, Dérives rhizomatiques

Crédits : Alice van der Klei

Proposé par auteur le 2020-09-22

Capture d’écran du blog de Pharaon Parka, Urban imagery

Crédits : Pharaon Parka

Proposé par auteur le 2020-09-22

Capture d’écran du blog de Myriam Marcil-Bergeron, (Dé)Cadrages

Crédits : Myriam Marcil-Bergeron

Proposé par auteur le 2020-09-22

Capture d’écran du blog de Yan St-Onge

Crédits : Yan St-Onge

Proposé par auteur le 2020-09-22

Pour décrire Les lignes de désirAccéder au site de Pierre Ménard, Les lignes de désir.

, le plus simple reste sans doute de rappeler la description qu’en fait l’auteur lui-même :

[le projet] raconte l’histoire d’un photographe qui traverse la ville de Paris d’un bout à l’autre, à la recherche de la femme qu’il aime, qui a disparu, dans les lieux qu’ils avaient l’habitude de fréquenter. L’enjeu de ce dispositif intermédia est de proposer aux utilisateurs une écoute mobile de l’histoire, à travers une déambulation libre dans l’espace du récit (les rues et les quais de l’île Saint-Louis à Paris), s’élaborant en fonction de leur itinéraire et de leurs mouvements (rythme de leurs pas, sens de circulation, durée du parcours effectué), manière d’écrire le texte en marche (Ménard 2016a).

À travers l’analyse de ces deux projets, je voudrais problématiser dans un premier temps la manière dont l’hyperconnexion affecte la ville telle que nous la connaissons, ses structures et son image. Enfin, je terminerai en élaborant des hypothèses sur le rôle performatif que la littérature peut avoir dans un espace urbain contemporain, hyperconnecté et hybride.

« Qu’est-ce qu’une ville ? »

Dans un livre qui allait devenir un classique pour les études urbaines, The Image of the City (Lynch 1960), le géographe américain Kevin Lynch décrivait la manière dont les êtres humains construisent l’image de la ville, image qui appartient autant à ceux et celles qui l’habitent et à ceux et celles qui, ailleurs, la rêvent. Cette capacité de la ville de se livrer à l’imagination humaine et, par là, à la vie urbaine quotidienne des êtres humains donne lieu à ce que Lynch appelle l’imageability d’une ville, résultat des décisions politiques autant que des pratiques urbaines des citoyen.ne.s. Dans la perspective de Lynch, l’imageability de la ville ne relève pas d’un concept abstrait ni d’une image mentale – une carte postale de la ville –, mais plutôt d’un processus qui répond à un paradigme de performativité lié au sens et à la signification – esthétique donc – : un « procès bidirectionnel entre l’observateur et son environnement. L’environnement suggère des distinctions et des relations, et l’observateur […] choisit, organise et donne une signification à ce qu’il voit » (ma traduction, Lynch 1960, 6). Non seulement l’image d’une ville est le résultat de la relation – inter – que les êtres humains arrivent à tisser entre eux et la ville elle-même, mais, de plus, cette image est formée par l’intermédiaire d’une autre forme de relationnalité, cette fois-ci intrinsèque à la ville elle-même : l’intra. Selon Lynch, en fait, une ville n’est pas une entité figée à tout jamais, mais bien un réseau toujours changeant d’éléments, regroupés en cinq macro-catégories : voies, limites, quartiers, nœuds et points de repère (Lynch 1960, 47‑48). Ce sont les relations qui se nouent entre ces derniers et les êtres humains qui donnent véritablement lieu à l’imagibilité de la ville, c’est-à-dire sa capacité de se livrer à l’imagination et, par là, à la vie quotidienne. Sans cette relationnalité, point d’image de la ville et, par conséquent, point de ville non plus. Ou, pour le dire avec les mots de Lynch :

si l’environnement est organisé visuellement et vivement identifié, alors le citoyen peut lui donner une forme avec sa propre signification. C’est là qu’il devient un véritable endroit (ma traduction, Lynch 1960, 92).

Cette vision de la ville en tant qu’ensemble de relations toujours à construire et à performer trouve une résonance dans les analyses sur l’espace faites par les géographes contemporains. Michel Lussault, un des représentants les plus importants dans le domaine des études géographiques françaises, développe depuis plusieurs années une théorie de l’espace qui, loin de le considérer comme une chose inerte, en fait plutôt « une ressource sociale hybride et complexe mobilisée et ainsi transformée dans, par et pour l’action » (Lussault 2007, 181). Si, pour les deux chercheurs, la ville est le résultat d’une construction faite par les acteur.rice.s impliqués dans le processus – et donc, fondamentalement, le résultat d’une performativité relationnelle –, à la différence de l’approche de Lynch, celle de Lussault ne repose pas sur le principe d’une agentivité appartenant exclusivement aux êtres humains. En analysant les événements liés au tsunami qui a eu lieu en 2004 dans l’océan Indien, le géographe français propose de considérer tous les phénomènes, humains ou pas, qui participent d’une manière quelconque à la production de l’espace comme des opérateurs spatiaux à part entière, « c’est-à-dire une entité qui possède une capacité à agir avec “performance” dans l’espace géographique des sociétés concernées » (Lussault 2007, 19).

En adoptant le point de vue de Lussault, je propose de considérer la technologie, dans ses formes multiples, comme étant un de ces opérateurs spatiaux. Bien que la technologie ait depuis toujours participé à la construction de la ville – voitures, feux, câblage, etc. –, ce que l’on observe avec l’arrivée des dispositifs mobiles, de la connexion ambiante et du web 3.0Pour une description du web sémantique, je renvoie à la page Wikipédia.

– dont le principe de base est celui de relier de plus en plus les informations, les données et les objets –, c’est un changement dans la magnitude des répercussions de cet opérateur spatial, soit dans sa capacité « à agir avec “performance” dans l’espace géographique » (Lussault 2007, 19) de la ville. L’effet spécifique engendré par le développement des technologies de communication et d’information ainsi que par leur adoption de plus en plus massive dans tous les domaines de la vie quotidienne peut être décrit comme un processus d’hybridation des espaces (Breitsameter 2003 ; Vitali-Rosati 2018). Si le web et internet avaient déjà été perçus comme un espace à part entière, le cyberespace (Gibson 1984), mais fondamentalement séparé de l’espace « vrai », « concret » et « réel », cette dichotomie est aujourd’hui rejetée (Monjour, Vitali Rosati, et Wormser 2016) et l’espace numérique considéré comme faisant partie de l’espace tout court : « nous n’entrons plus dans le web, il est tout autour de nous » (ma traduction, Gordon et Souza e Silva 2011, 3). Ainsi, un autre type de connexion s’ajoute-t-il aux deux analysés par Lynch : l’hyper. L’hyperconnexion contemporaine s’insère dans la dynamique de tissage de la ville en augmentant le champ de vision du citoyen, comme nous le rappellent Gordon et De Souza e Silva en adoptant la métaphore lynchienne de l’environnement visuellement organisé : « la ville, pour cet homme [un homme qui se connecte avec son téléphone à un réseau social basé sur la géolocalisation], ne s’épuise pas dans l’observable visible. Elle contient des annotations et des connexions, des informations et des orientations venant d’un réseau de personnes et de dispositifs qui s’étale bien plus loin de ce qu’il est devant lui » (ma traduction, Gordon et Souza e Silva 2011, 1).

La place de la littérature

Une fois à l’œuvre dans le milieu urbain, l’hyperconnexion engendre des modifications spécifiques à la ville que je regrouperai en trois ordres principaux. D’abord, et au niveau le plus tangible, elle modifie notre perception de l’espace urbain – grâce aux dispositifs mobiles, on n’éprouve plus, désormais, la sensation d’être perdu dans une ville, même si on ne la connaît pas. En second lieu, et par conséquent, l’hyperconnexion modifie l’architecture et l’urbanisme de la ville eux-mêmes, et cela du point de vue à la fois des concepteur.rice.s et des usager.ère.s de l’espace urbain – comme le montre le travail du Senseable City LabConsulter le site du Senseable City Lab.

, centre de recherche du MIT dirigé par l’architecte Carlo Ratti, qui a pour mission la réflexion sur l’architecture numérique et sa pratique dans les smart cities. Enfin, et peut-être surtout, l’hyperconnexion, est un fait technologique ayant des retombées culturelles qui vont bien au-delà du simple aspect technique. C’est autour de ce dernier ordre de questions que je voudrais me concentrer pour la suite, en explorant le rôle de la littérature dans le processus de production de l’espace.

Selon Daniel Chartier, chercheur montréalais :

le lieu [...] existe d’abord et avant tout comme un réseau discursif, donc comme une série et une accumulation de discours, qui en détermine et façonne les limites, les constituantes, l’histoire, les paramètres, etc. [...] l’existence discursive du lieu accompagne son existence réelle [...] soit sa matérialité, l’expérience vécue de ceux qui l’habitent ou le visitent, etc. Pour tout lieu, on constaterait ainsi une double existence : discursive (ce qu’on en dit) et phénoménologique (ce qu’on en sait par l’expérience) [...] Il n’y a pas, a priori, l’une de ces existences qui soit plus importante que l’autre : le lieu existe à la fois par sa matérialité et par son discours. Il n’y a même pas d’antériorité de l’une sur l’autre (2013, 15‑16).

Si l’on songe à la ville avec cette idée de lieu en tête, on s’aperçoit d’un changement dans la façon que nous avons de la regarder, de l’imaginer et de l’habiter : l’individu qui marche dans la rue ne se borne pas à parcourir un espace physique, mais il est immergé en même temps dans un espace également discursif, ou esthétique, où chaque narration qui se fait ou qui est faite sur le lieu a la même consistance ontologique que la pierre, le béton ou le bois. Comment imaginer le Plateau sans les stéréotypes sur la communauté française qui l’habite ou sans être pris dans un mouvement nostalgique, particulièrement ressenti chez les immigrés de Montréal, en contemplant les drapeaux portugais affichés à chaque coin de rue ?

Plateau, Montréal, été 2018.
© Enrico Agostini Marchese

Comment penser également le quartier de Saint-Henri sans laisser courir son esprit vers Bonheur d’occasionPour en savoir plus sur ce roman (Roy 1945), consulter les pages de L’Encyclopédie canadienne et Wikipédia.

de Gabrielle Roy ? Enfin, comment marcher rue OntarioPour une perspective de recherche/création sur la rue Ontario, je renvoie à Benoit Bordeleau (2013).

sans chercher du regard les vendeur.se.s de dope et les prostitué.e.s chantés par Bernard AdamusBernard Adamus, « Rue Ontario », Album Rue Ontario, Grosse Boîte, 2010, 3min04s.
Rue Ontario est présente aussi dans la chanson « Voyou » du groupe Les Cowboys Fringants.


 ? Bref, suivant les intuitions de Chombart de Lauwe lorsqu’il affirmait qu’« un quartier urbain n’est pas déterminé seulement par les facteurs géographiques et économiques, mais par la représentation que ses habitants et ceux des autres quartiers en ont » (Chombart de Lauwe 1952, 51), je pourrais sans nul doute soutenir que l’on se promène dans les discours sur la ville et ses quartiers autant qu’on en arpente les rues et les boulevards. Ainsi, contribuant à façonner l’identité de la ville, la littérature s’avère-t-elle être une des instances qui produisent l’espace, au même titre que l’architecture et l’urbanisme.

S’ils usent de procédés poétiques spécifiques, les auteur.rice.s de Dérives et de Lignes de désir poursuivent le même but : inscrire leur démarche artistique dans le tissu urbain, en donnant à celle-ci une ampleur et une dignité équivalentes aux pratiques dites concrètes de façonnement de l’espace urbain – architecture, urbanisme, aménagement, etc. Moins centré sur le côté technique, Dérives utilise un système de géolocalisation des tweets basé sur l’utilisation des mots-clics (hashtags) pour situer leurs propos poétiques et photographiques. Quant à lui, le projet de Pierre Ménard repose entièrement sur des technologies encodées et standardisées. En les exploitant pour construire des parcours littéraires d’exploration de la ville, ce projet interroge la part d’interactivité propre au ou à la lecteur.rice et au ou à la promeneur.se.

Les lignes de désir. Pour une littérature augmentée

Basé sur une application, ce projet se compose de :

365 pages de 1001 signes, dit Pierre Ménard, écrit[e]s spécifiquement pour une lecture non linéaire et permettre leur lecture à circulation aléatoire. Elles ont été conçues pour fonctionner en tant que blocs autonomes. Les textes ont en effet été écrits […] afin de rendre sensible un mode éclaté de lecture, de permettre une vision en forme de kaléidoscope afin que les textes ne donnent pas l’impression d’avoir été découpés à partir d’une trame classique de livres, mais directement avec cette approche fragmentaire (Ménard 2016b).

La poétique régissant ce dispositif littéraire repose sur le parti pris d’une similitude entre la démarche du ou de la lecteur.rice et promeneur.se, à savoir qu’

un livre devient un autre livre à chaque fois que nous le lisons. Une ville c’est pareille invention, chaque parcours la transforme. Marcher dans les rues comme entre les pages d’un livre, en garder une trace et voir, au fil du temps, se dessiner un chemin qui n’existait pas au moment de notre trajet (Ménard 2016c).

Moyennant la forme littéraire du fragment et la technique littéraireVoir à ce propos l’intervention de Pierre Ménard au « Colloque Littérature et dispositifs médiatique : pratiques d’écriture et de lecture en contexte numérique » organisé par l’Université du Québec à Montréal en mai 2017.

de l’écriture combinatoireSe référer à la présentation d’Ulrich Fischer : « Narration combinatoire. Le responsive storytelling, une approche organique et dynamique à la narration », janvier 2014.

, Pierre Ménard bâtit un dispositif littéraire d’exploration spatiale de la ville. L’usager.ère, en fait, n’a accès à ces fragments qu’en parcourant physiquement l’espace du récit, l’île Saint-Louis, avec son dispositif sur lequel il ou elle reçoit les textes selon son emplacement. L’usager.ère, en se déplaçant, construit ainsi une narration taillée sur son parcours physique, activant à la fois des images et du son.

De prime abord, le mode de fonctionnement de ce dispositif ressemble de très près à une des expériences offertes par l’hyperconnexion : la réalité augmentée.

On peut remarquer cette ressemblance en donnant comme définition, minimaliste et très générique, de réalité augmentée qu’elle est la superposition à la réalité physique d’éléments (sons, images 2D, 3D, vidéos, etc.) calculés par un système informatique en temps réel. Si l’on y regarde de plus près, cependant, on peut s’apercevoir qu’il y a une différence cruciale entre Les lignes de désir et la réalité augmentée. Cette dernière repose sur un principe dualiste très clair – en fait, c’est son principe de fonctionnement fondamental –, c’est-à-dire la superposition de deux choses différentes : d’une part la réalité, de l’autre les éléments qui l’augmentent – on pourrait dire : la fiction. Dans le cas de Lignes de désir, on fait face à une autre dynamique esthétique : l’usager.ère n’est pas le simple récepteur de la couche informationnelle recouvrant la réalité ; au contraire, il ou elle a une place active dans la production du récit et du contenu du récit – et, enfin, dans la production de l’espace lui-même.

Bien que Pierre Ménard soit effectivement l’auteur de la totalité des textes contenus dans la base de données de l’applicationPour consulter des extraits de l’œuvre :
- Extraits du texte
- Les lieux
- Lectures

, cette fonction auctoriale s’efface derrière le récit singulier généré chaque fois par chaque usager.ère particulier.ère, qui devient du même coup ce que Kristin Veel appelle « l’auteur implicite » (ma traduction, 2003, 168). C’est en effet l’usager.ère en tant que tel.le qui actualise le récit en enchaînant les 365 textes selon un rythme et un parcours déterminés par la marche et le pas de l’individu qui est en train de se promener sur l’île Saint-Louis. Alors que l’auteur, Pierre Ménard, ne représente que l’instance auctoriale virtuelle – dans le sens étymologique du terme –, l’usager.ère-promeneur.euse est l’instance actuelle, celle qui crée véritablement un récit et non plus le récitCette cession de la fonction auctoriale ne se limite pas à la production du récit audio in situ, mais se prolonge aussi dans une seconde phase, celle de l’éditorialisation du contenu obtenu : « L’application qui accompagne la découverte audio in situ de cette œuvre interactive, permettra d’éditer à l’issue de l’expérience de chaque participant, selon le chemin qu’il a suivi, le récit en version numérique ou imprimée, et de créer ainsi un récit inédit, un parcours poétique original. Il sera également possible d’éditer un livre audio en sélectionnant un itinéraire de son choix à partir d’un jeu d’images » (Ménard 2016a).
L’usager pourra aussi partager son récit sur le site internet du projet ainsi que lire les récits des autres usagers.

.

Cette considération peut aussi être appliquée à l’espace urbain. L’architecte est bien sûr celui qui aménage l’ensemble de l’espace urbain dans son entièreté, mais une entièreté en puissance – virtuelle – : c’est l’individu qui s’y déplace, qui crée des parcours, des chemins, des voies de circulation et de passage et, ce faisant, qui donne à cet espace abstrait une consistance réelle, chaque fois renouvelée et différente selon chaque personne. Pour reprendre la citation de Lynch (ma traduction, 1960, 92), « si l’environnement est organisé visuellement et vivement identifié, alors le citoyen peut lui donner une forme avec sa propre signification. C’est là qu’il devient un véritable endroit ». Or, pour le dire avec les mots de Pierre Ménard, « il ne s’agit pas de représenter l’espace, mais de le produire en lui donnant un sens » (Bordeleau et al. 2017).

Dérives. Qu’est-ce que se désorienter dans la ville ?

Étant moins axé sur l’aspect technique, j’utiliserai l’exemple de Dérives pour analyser quelques retombées plus culturelles de l’hyperconnexion, et plus spécifiquement l’hyperconnexion géolocalisée et sa signification à l’égard de notre nouvelle modalité d’être situé.e.s. Ce cas d’étude me semble particulièrement intéressant aussi à l’égard de l’évolution de la littérature numérique dans les dernières annéesPour la suite, tout matériau provenant des sites qui ne sont plus en ligne est le résultat de l’archivage que j’ai fait, à travers captures d’écran ou transcription des textes. Je voudrais ici remercier le collectif Dérive(s) pour l’aide dans le processus d’archivage, notamment Victoria Welby pour m’avoir donné accès à la base de données de son site, maintenant inactif, où une première tentative d’entreposage avait été faite. À l’heure actuelle, le quartier général du projet a été réactivé, disponible à l’adresse derivesxyz.wordpress.com.

. Située d’entrée de jeu dans le sillage du situationnisme et de la dérive« À noter que la dérive telle que nous la pratiquons dans ce projet n’a rien à voir avec la navigation (maritime ou aérienne), l’artillerie, l’électricité, la biologie ou la politique. Elle emprunte plutôt (sans y adhérer pleinement) à la dérive selon Debord » (dérives 2020).

, la naissance du collectif entretient des liens très forts avec la localisation : c’est en fait à partir de leur proximité géographique que Benoit Bordeleau et Victoria Welby, qui habitaient dans le même quartier de Montréal, Hochelaga, ont commencé le projet. Dans un premier temps, c’est l’exploration de ce quartier, avec ses personnages, ses histoires, ses coins de rue, qui prime dans les billets de blogue que les auteur.rice.s s’échangent à tour de rôleUne des règles de Dérive(s) était justement : « Les billets dérive doivent être produits de façon alternative. À chacun son tour, en réponse au billet de l’autre. Chaque contribution sert à orienter la série en cours » (2011).

 : plus que l’espace en soi, ce qui est mis en récit, c’est le fait d’habiter un quartier, selon une poétique de l’espace à la Bachelard (1957), qui fait des éléments spatiaux autant d’archétypes émotionnels et sentimentaux. Cette dimension sentimentale et intime est favorisée aussi par le choix du support : le blogue. Comparé à l’écriture sur dispositif mobile, typique d’une littérature sur réseau social, le blogue encourage en effet la réflexion, la pondération et le soin du texte ainsi qu’une émotivité accrue par rapport à la saisie instantanée. Ces caractéristiques ont une incidence aussi sur la polyvalence médiatique qui distingue la littérature numérique : Spark, la photo qui introduit les séries de Dérives, est moins documentaire ou conversationnelle que porteuse d’intimité.

Lorsque d’autres auteur.rice.s s’ajoutent au noyau initial, Dérives modifie ses principes de fonctionnement. Maintenant basé dans les bâtiments de l’Université du Québec à Montréal, autour de 2011-2012, les auteur.rice.s expérimentent d’autres supports pour poursuivre le projet. Pendant qu’une version papier commençait à circuler via la poste interne de l’UQAMVersion que le service postal états-unien a laissé partir à la dérive, perdue à tout jamais.

, les participant.e.s entamaient une première tentative de stabilisation des échanges en utilisant une section du site personnel de Victoria Welby comme entrepôt. C’est à la même période que le projet, suivant les tendances à l’œuvre dans la littérature numérique de l’époque, débarque sur Twitter et, en moindre mesure, sur Instagram, marquant ainsi un changement significatif dans sa poétique générale.

Capture d’écran d’un tweet du projet Dérive(s), © Benoit Bordeleau, 2020
Capture d’écran d’un tweet du projet Dérive(s), © Victoria Welby, 2020
Capture d’écran du compte instagram d’Alice van der Klei

Si les contributions sur blogues et sites personnels demeurent toujours acceptées, il est néanmoins vrai que cette modalité d’écriture s’affaiblit considérablement, demeurant aujourd’hui négligeable, voire nulle. Il en va de même pour la présence du collectif sur Instagram, où seulement Alice van der Klei, Myriam Marcil-Bergeron et, récemment, Victoria Welby publient des contenus, qui, de toute manière, suivent les mêmes règles élaborées selon les structures de Twitter.

Capture d’écran du compte instagram de Myriam Marcil-Bergeron

Ces structures ont d’ailleurs un fort retentissement sur Dérives : en investissant cet espace numérique, l’écriture des auteur.rice.s se soumet à un rythme et à une temporalité autres que ceux du blogue : l’écriture intime devient extime (Tisseron 2011), ce sont maintenant des impressions passagères, des rencontres éphémères qui deviennent le matériau poétique primaire. C’est la primauté de l’instant « saisi comme épiphanie » (Bonnet 2017b), typique des poétiques web 2.0, qui est

également l’horizon de la performance, dépendante d’un hic et nunc, ouverte au geste autant voire plus qu’au résultat-œuvre, qui se propose ici à l’œuvre littéraire numérique saisie à travers le prisme de l’instant (Bonnet 2017a).

Capture d’écran d’un tweet du projet Dérive(s), © Benoit Bordeleau, 2020
Capture d’écran d’un tweet du projet Dérive(s), © Victoria Welby, 2020

La rencontre avec Twitter a produit des changements non seulement dans la poétique du projet, mais aussi à un niveau plus structurel. Notamment, les contraintes d’écriture sont adaptées à un environnement fort différent de celui du blogue : « [p]our les contributions dans Twitter, Instagram ou autres réseaux, deux hashtags nécessaires : #dérive et #nomDeLieuQuelconque ».

Capture d’écran d’un tweet du projet Dérive(s), © Yan St-Onge, 2020
Capture d’écran d’un tweet du projet Dérive(s), © Myriam Marcil-Bergeron, 2020

D’un point de vue strictement littéraire, le mot-clic (hashtag) #dérive fait ici office de paratexte : c’est avec cela que l’utilisateur.rice signale le fait que son tweet appartient à ce projet, en extrayant ainsi de l’ensemble des tweets un filon d’appartenance spécifiquement littéraire. En suivant les indications de Genette à l’égard de la fonction des éléments paratextuels – « l’entourent et le prolongent [le texte], précisément pour le présenter, au sens habituel de ce verbe, mais aussi en son sens le plus fort : pour le rendre présent, pour assurer sa présence au monde » (Genette 1987, 4) –, je pourrais affirmer que le mot-clic #dérive performe la littérarité des contenus publiés sur Twitter.

Le mot-clic #nomDeLieuQuelconque, quant à lui, est l’élément qui pointe la possibilité de repenser la manière dont nous concevons la géolocalisation et, par là, le fait d’être situé.e.s. Si, dans notre époque contemporaine, l’imaginaire lié à la géolocalisation est technique – la géolocalisation comme technologie – et mathématique – l’emplacement comme ensemble de coordonnées abstraites –, Dérives nous rappelle ce que Kalnins affirmait à propos des locative media : « la localisation décrit une situation, pas un lieu » (Nova 2009, 41). En choisissant consciemment un système basé sur l’indétermination – par exemple, #Ontario peut indiquer une rue de Montréal, un lac dans l’Ontario ou la province de l’Ontario elle-même – pour marquer l’emplacement des tweets, les auteur.rice.s de Dérives promeuvent une poétique de la localisation, où les lieux constituent moins des repères spatiaux figés que des espaces vécus à travers la mise en récit. Il s’agit ici du point central : c’est la mise en récit – dont l’importance dans les environnements technologiques et dans les relations entre êtres humains et technologies est au cœur du chapitre de Martin Bonnard, de Lisiane Lomazzi et de Joëlle Gélinas – qui performe l’existence même des lieux –, ce que Lynch affirmait en disant « le ou la citoyen.ne peut donner une forme [à l’environnement] avec ses propres signification et connexions. Dès lors, il devient un véritable endroit » (ma traduction, Lynch 1960, 92). Loin d’une perspective faussement objective, il est question ici de valoriser le point de vue du sujet et la mise en perspective de l’espace, des « savoirs situés », pour reprendre la posture revendiquée par Donna Haraway (1988) – et que réitère Christelle Proulx dans son chapitre –, par l’intermédiaire d’une subjectivité qui se construit en rapport avec des espaces multiples et pluriels. Face à l’emprise contemporaine de Google Maps et de Google Street View qui imposent leur imaginaire spatial, qu’il soit lié à l’espace, à la carte, à la ville ou à la géolocalisation, la prolifération des points de vue autres est une nécessité politique, comme l’argue Bruno Latour dans un texte consacré à la ville de Paris (Latour 2007). Comme montré par Alexia Pinto Ferretti dans son chapitre, les réseaux sociaux permettent l’élaboration d’une nouvelle forme de mise en récit. Cela est vrai non seulement à l’égard de l’imaginaire de l’autochtonie, mais aussi en ce qui concerne l’imaginaire urbain : en exploitant l’ouverture permise par la plateforme de Twitter – tout un chacun peut contribuer à Dérives, il faut juste utiliser les mots-clics appropriés –, le chantier collaboratif montréalais contribue à une production discursive et collective de l’espace de la ville de Montréal.

Capture d’écran d’un échange de tweets du projet Dérive(s), © Benoit Bordeleau et Myriam Marcil-Bergeron, 2017

Qu’en est-il alors de la place de l’hyperconnexion dans l’imagibilité de l’espace urbain ? Mon hypothèse est que l’hyperconnexion permet à l’imagibilité de la ville d’acquérir une dimension esthétique qui dépasse le rapport entre l’individu singulier et la petite partie de la ville qu’il habite et où il vit. L’imagibilité hyperconnectée gagne, dans notre condition contemporaine, une étendue et une force, donc une magnitude, plus puissantes qu’auparavant. Si l’imagibilité est fondamentalement une question de relations entre des éléments, l’hyperconnexion est un régime de relationnalité radicale. Grâce aux dispositifs mobiles, aujourd’hui, on n’est pas seulement connecté aux livres qui parlent de Montréal ou de Paris, mais, par l’intermédiaire des réseaux sociaux notamment, on a accès aux discours – aux images de la ville – produits par d’autres usager.ère.s sur les réseaux sociaux. De plus, en ligne, on a potentiellement accès à la totalité des discours produits autour de Montréal dans le monde entier – bien sûr, à condition de comprendre la langue utilisée. L’autre aspect majeur de l’hyperconnexion est sa portabilité extrême : on peut accéder aux discours des autres à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit. Mon expérience de la ville et celle des autres ne sont plus séparées par un espace-temps décalé : spatialité et temporalité des récits sont comprimées dans un point focal, l’ici et maintenant, où se produit une image générale composée de la superposition de tous les récits, même de ceux des autres personnes. Dans cette imagibilité radicale, la différence entre plusieurs temps et plusieurs espaces est éclatée. De là, c’est à une autre qualité de l’image de la ville qu’on a accès, multiple, mais toujours présente et à disposition – et surtout, toujours en diapason avec ma situation physique. Ce qui fait que mon expérience de l’espace-temps, ma localisation physique, ne se différencie plus de ma localisation discursive ni de celle des autres.

Au-delà d’une conception limitée de l’hyperconnexion, celle par exemple de la réalité augmentée ou de la géolocalisation entièrement abandonnée à leur dimension purement technologique, la littérature nous montre une autre manière de penser l’hyperconnexion en particulier et la technologie en général. Je pourrais affirmer que l’hyperconnexion appliquée à la littérature spatiale introduit un paradigme que j’appellerais le paradigme de la performativité : les actes de lecture et d’écriture de l’espace sont de plus en plus rapprochés, au point que, comme Pierre Ménard le montre de façon très convaincante, on pourrait dire qu’ils deviennent un seul et même acte – de plus en plus, lire ou écrire l’espace font un avec sa production.

C’est à la lumière de cette idée de performativité hyperconnectée que l’on pourrait aussi repenser le rôle de la technologie et des dispositifs mobiles qui ont permis la naissance et le développement de l’hyperconnexion elle-même : loin de n’être que de simples intermédiaires entre nous et le monde, ils sont des agents actifs, parties prenantes dans le processus de mise en relation du monde. Ils sont des opérateurs spatiaux, au même titre que les auteur.rice.s, les lecteur.rice.s, les architectes et les flâneur.se.s.

Contenus additionnels

Projet Dérive(s)

Crédits : Dérive(s)

Source (archive)

Proposé par auteur le 2020-09-22

Projet Les lignes de désir

Crédits : Les lignes de désir

Source (archive)

Proposé par auteur le 2020-09-22

Références

Bachelard, Gaston. 1957. La Poétique de l’espace. Bibliothèque de philosophie contemporaine. Paris: Les Presses universitaires de France. https://gastonbachelard.org/wp-content/uploads/2015/07/BACHELARD-Gaston-La-poetique-de-l-espace.pdf.

Beaude, Boris. 2012. Internet changer l’espace changer la société. 1 edition. Limoges, France: FYP. https://www.beaude.net/icecs/.

Bonnet, Gilles. 2017a. « L’INSTANT J1VAR0 ». Komodo 21 web Satori (7). http://komodo21.fr/linstant-j1var0/.

———. 2017b. « Présentation ». Komodo 21 web Satori (7). http://komodo21.fr/web-satori/.

Bordeleau, Benoit. 2013. « Deambuler Rue Ontario. Raboudinage d’une Artère Montréalaise ». In L’idée Du Lieu, édité par Daniel Chartier, Marie Parent, et Stéphanie Vallières. Cahier Figura. Montréal: Figura. Observatoire de l’imaginaire contemporain. http://oic.uqam.ca/fr/articles/deambuler-rue-ontario-raboudinage-dune-artere-montrealaise.

Bordeleau, Benoit, Boris Du Boullay, Bertrand Gervais, Yannick Guéguen, et Pierre Ménard. 2017. « Table ronde: Mobiliser les formes narratives ». Montréal, Université du Québec à Montréal: Observatoire de l’imaginaire contemporain. http://oic.uqam.ca/fr/communications/table-ronde-mobiliser-les-formes-narratives.

Breitsameter, Sabine. 2003. « Acoustic Ecology and the New Electroacoustic Space of Digital Net-Works ». Soundscape Journal of Acoustic Ecology 4 (2): 24‑30. http://www.sonic-media-art.net/archives/2004/06/acoustic_ecolog.html.

Chartier, Daniel. 2013. « Introduction. Penser Le Lieu Comme Discours ». In L’idée Du Lieu, édité par Daniel Chartier, Marie Parent, et Stéphanie Vallières. Vol. 34. Cahier Figura. Montréal: Figura. Observatoire de l’imaginaire contemporain. http://oic.uqam.ca/fr/articles/introduction-penser-le-lieu-commediscours.

Chombart de Lauwe, Paul-Henry. 1952. Paris et l’agglomération Parisienne. L’espace social dans une grande cité - Méthodes de recherches pour l’étude d’une grande cité. Bibliothèque de sociologie contemporaine. Paris: Les Presses universitaires de France.

dérives. 2011. « Règles #dérive(s) ». #dérive(s) quartier général. https://web.archive.org/web/20200517135548/https://derivesxyz.wordpress.com/regles/.

———. 2020. « #dérive(s) quartier général ». #dérive(s) quartier général. https://web.archive.org/web/20200517135049/https://derivesxyz.wordpress.com/.

Dodge, Martin, et Rob Kitchin. 2011. Code/Space : Software and Everyday Life. Boston, Mass: MIT Press. https://mitpress.mit.edu/books/codespace.

Donner, Jonathan. 2016. « Global South ». In Dialogues on Mobile Communication, 189‑206. Londres-New York: Routledge. https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781315534619/chapters/10.4324/9781315534619-20.

Genette, Gérard. 1987. Seuils. Poétique. Paris: Seuil. https://www.seuil.com/ouvrage/seuils-gerard-genette/9782020095259.

Gibson, William. 1984. Neuromancer. New York: Ace. https://en.wikipedia.org/wiki/Neuromancer.

Gordon, Eric, et Adriana de Souza e Silva. 2011. Net Locality : Why Location Matters in a Networked World. Hoboken, NJ: Wiley-Blackwell. https://www.wiley.com/en-us/Net+Locality%3A+Why+Location+Matters+in+a+Networked+World-p-9781405180603.

Greenfield, Adam. 2006. Everyware: the dawning age of ubiquitous computing. Voices That Matter. Berkeley, CA: New Riders. https://www.peachpit.com/store/everyware-the-dawning-age-of-ubiquitous-computing-9780321384010.

Haraway, Donna. 1988. « Situated Knowledges. The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective ». Feminist Studies 14 (3): 575‑99. https://msu.edu/~kg/874/Haraway_1988__Situated_Knowledges.pdf.

Latour, Bruno. 2007. « Paris, La Ville Invisible : Le Plasma ». In Airs de Paris, 30 Ans Du Centre Pompidou, 260‑63. Paris: ADGP. http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/P-123-BEAUBOURG-PARIS.pdf.

Lussault, Michel. 2007. L’Homme Spatial. La Construction Sociale de l’espace Humain. La Couleur des idées. Paris: Seuil. https://www.seuil.com/ouvrage/l-homme-spatial-michel-lussault/9782020937955.

Lynch, Kevin. 1960. The Image of the City. Cambridge, Mass.- London: The MIT Press. https://mitpress.mit.edu/books/image-city.

Ménard, Pierre. 2016a. « Les Lignes de Désir ». Les Lignes de Désir. https://lignesdesir.wordpress.com/.

———. 2016b. « Narration combinatoire : Le texte en mouvement ». Liminaire. http://www.liminaire.fr/liminaire/article/narration-combinatoire-l-ecriture-en-mouvement.

———. 2016c. « Présentation ». Les Lignes de Désir. https://lignesdesir.wordpress.com/presentation/.

Monjour, Servanne, Marcello Vitali Rosati, et Gérard Wormser. 2016. « Le fait littéraire au temps du numérique ». Sens Public, décembre. http://www.sens-public.org/article1224.html.

Mullin, Katherine. 2016. « Cities in Modernist Literature ». British Library Online Discovering Literature: 20th century. https://www.bl.uk/20th-century-literature/articles/cities-in-modernist-literature#:~:text=The%20city%20is%20a%20key,%2C%20anonymity%2C%20confusion%20or%20thrill.

Nova, Nicolas. 2009. Les Médias Géolocalisés. Comprendre Les Nouveaux Paysages Numériques. Limoges: FYP. https://www.fypeditions.com/les-medias-geolocalises-comprendre-les-nouveaux-espaces-numeriques-nicolas-nova/.

O’Rourke, Karen. 2013. Walking and Mapping. Artists as Cartographers. Cambridge, Mass: The MIT Press. https://mitpress.mit.edu/books/walking-and-mapping.

Perec, Georges. 1974. Espèces d’espaces. L’espace critique. Paris: Galilée. http://www.editions-galilee.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=3027.

Roy, Gabrielle. 1945. Bonheur d’occasion. Montréal: Société des Éditions Pascal. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/bonheur-doccasion.

Souza e Silva, Adriana de, et Mimi Sheller, éd. 2015. Mobility and locative media: mobile communication in hybrid spaces. 1 Edition. Changing mobilities. New York: Routledge, Taylor & Francis Group. https://www.routledge.com/Mobility-and-Locative-Media-Mobile-Communication-in-Hybrid-Spaces/Silva-Sheller/p/book/9780367868949#sup.

Tambling, Jeremy, éd. 2016. The Palgrave Handbook of Literature and the City. London: Palgrave MacMillan UK. https://www.palgrave.com/gp/book/9781137549105.

Tisseron, Serge. 2011. « Intimité et extimité ». Communications 88: 83‑91. https://doi.org/10.3406/comm.2011.2588.

Veel, Kristin. 2003. « The Irreducibility of Space: Labyrinths, Cities, Cyberspace ». Diacritics 33 (3/4): 151‑72. https://doi.org/10.2307/3805809.

Vitali-Rosati, Marcello. 2018. On Editorialization: Structuring Space and Authority in the Digital Age. Theory on demand 26. Amsterdam: Institute of Network Cultures. http://networkcultures.org/blog/publication/tod-26-on-editorialization-structuring-space-and-authority-in-the-digital-age/.

Warf, Barney, et Santa Arias, éd. 2008. The Spatial Turn: Interdisciplinary Perspectives. Londres-New York: Routledge. https://www.routledge.com/The-Spatial-Turn-Interdisciplinary-Perspectives/Warf-Arias/p/book/9780415775731.

Zeffiro, Andrea. 2012. « A Location of One’s Own : A Genealogy of Locative Media ». Convergence 3 (18): 249‑66. https://doi.org/10.1177/1354856512441148.

Ziethen, Antje. 2013. « La littérature et l’espace ». Arborescences : Revue d’études françaises, nᵒ 3. https://doi.org/10.7202/1017363ar.

Enrico Agostini Marchese

Enrico Agostini Marchese est doctorant à l’Université de Montréal. Après des études esthétiques sur le statut de l’image dans la littérature et la philosophie du XXe siècle, ses recherches actuelles portent sur la production et la structuration de l’imaginaire spatial dans la littérature numérique contemporaine. Il est membre de la CRC sur les écritures numériques, du CRIHN, de Figura et de la société internationale pour les études intermédiales. Il a publié, en 2015, Atlante di disorientamento. Un profilo di Gerhard Richter et plusieurs articles portant sur le rapport entre numérique, espace et littérature.