Le mouvement Wikimédia au Canada

Wikimédia dans un musée d’art québécois

Wikimédia dans un musée d’art québécois

Exploration d’un modèle d’institution culturelle ouverte

Nathalie Thibault

Nathalie Thibault, « Wikimédia dans un musée d’art québécois », dans Jean-Michel Lapointe, Marie D. Martel (dir.), Le mouvement Wikimédia au Canada (édition augmentée), Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2025, isbn : 978-2-7606-5389-4, https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/13-wikimedia/chapitre5.html.
version 0, 31/03/2025
Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA 4.0)

Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) s’est engagé, par le biais d’une série d’initiatives et d’activités à l’exploration de pratiques plus ouvertes et collaboratives via une série de chantiers wikimédiens dans la foulée des OpenGLAM. Ces projets favorisent un accès à ses contenus, ses collections et ses données plus accessibles à l’aide des licences ouvertes ou libres. Le musée soutient la participation et la collaboration avec des publics élargis de chercheurs, d’éducatrices et d’autres institutions culturelles qui peuvent réutiliser, partager et modifier ces contenus et ses données.

Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) s’est engagé dans une démarche pour accroître l’accès à ses contenus et à ses données par le biais de trois chantiers en lien avec le mouvement Wikimédia. Ces travaux qui ont débuté en 2018 sont toujours en développement. Il s’agit du chantier Wikipédia (rédaction d’articles prioritairement en français), du chantier Wikidata et du chantier Wikimedia Commons. La finalité principale de ces travaux est de valoriser et de partager l’information ainsi que des images libres de droits détenues par le MNBAQ sur le Web tout en acquérant, au plan organisationnel, de nouvelles compétences numériques. Ces initiatives rejoignent les différents objectifs du mouvement du libre accès, celui des OpenGLAM ainsi que le modèle du musée participatif. La notion de « chantier » souligne l’engagement du musée d’agir comme maître d’œuvre d’un ensemble d’ouvrages interdépendants sur lequel reposeront la vision et l’infrastructure d’une institution culturelle ouverte.

De manière générale, les projets wikimédiens favorisent l’accès au contenu culturel numérique par le recours à des licences plus ouvertes. Par « ouvert », nous entendons le fait que « n’importe qui puisse librement accéder, utiliser, modifier et partager à n’importe quelle fin (sous réserve, des exigences qui préservent la provenance et l’ouverture) » [traduction] (The Open Knowledge Foundation s. d.). Cet accès ouvert au patrimoine culturel numérique en tant que commun permet désormais au Musée de mieux répondre aux besoins et aux attentes de différents publics et de mieux soutenir le travail des chercheurs et chercheuses comme celui de la communauté muséale, artistique et documentaire. La Commission européenne sur les OpenGLAM a illustré les impacts diversifiés de l’ouverture des contenus et des données en soulignant :

l’importance du partage des connaissances pour la recherche, l’innovation et la créativité. Par exemple :

  • Plus de contenu culturel sous licence ouverte permet aux enseignants à travers le monde de réutiliser ce travail en classe ;

  • Plus de données culturelles ouvertes permettent aux chercheurs d’établir des liens entre les personnes, les choses et les événements grâce à l’utilisation de techniques innovantes telles que l’exploration ou la fouille de texte et la visualisation ;

  • Plus de contenu culturel ouvert permet aux citoyens du monde entier de profiter de ce matériel, de comprendre leur héritage culturel et de réutiliser ces contenus pour produire de nouvelles œuvres d’art. [traduction]

Brève revue de la littérature et cadre conceptuel

En 2006, alors que l’inquiétude au sujet de la validité des contenus wikipédiens dominait le débat public et scientifique, un article de recherche proposait pourtant un argumentaire et une méthode afin d’accroître la visibilité et la promotion des institutions de mémoire : on y encourage par le détail les musées à se doter d’une entrée dans Wikipédia (Bowen et Angus 2006). C’est quelques années plus tard que le mouvement des OpenGLAM a véritablement émergé, à la suite de la conférence Wikimania qui s’est tenue à la bibliothèque Alexandrina en 2008, un lieu et un contexte symboliques porteurs où Liam Wyatt, éditeur australien, a entrevu le potentiel de structurer dans la durée les relations entre les différentes institutions culturelles et Wikipédia. L’expression et la communauté GLAM-Wiki ont été forgées de concert, en 2009 à Canberra, à l’occasion d’une séance organisée par Wyatt et intitulée « Finding The Common Ground » réunissant les acteurs et actrices des bibliothèques, musées, archives (Lih 2018). Cet événement a permis de générer une conversation visant à mutualiser les capacités des institutions culturelles tout en convergeant avec le mouvement des communs. Peu après, Liam Wyatt devient en 2010 le premier wikipédien en résidence dans un musée, le British Museum, et s’investit à bâtir la relation et le partage d’expertise entre les univers muséaux et wikimédiens. Au British Museum, l’intérêt d’une telle collaboration avait été rapidement comptabilisé puisque l’article consacré à la vedette du musée, la pierre de Rosette, était déjà cinq fois plus consulté sur Wikipédia que sur le site Web du musée (Cohen 2010).

Naguère, les publics, notamment les chercheurs et chercheuses, venaient en personne dans les musées, les centres d’archives et les bibliothèques consulter des documents et des images pour leurs travaux. Dans l’environnement numérique, les stratégies des musées, archives, bibliothèques visent désormais à élargir l’accès ; elles proposent de nouveaux services en ligne et des pratiques de plus en plus ouvertes (Klein et Cardin 2018, 101). Les approches se veulent plus participatives; les institutions culturelles explorent les possibilités de collaboration et, éventuellement, de cocréation en renouvelant la manière dont celles-ci assurent traditionnellement l’accès des utilisateurs et des visiteurs aux collections. Le concept de « musée participatif » devient un référentiel de transformation où les projets wikimédiens servent régulièrement de tremplin (Simon 2010). Par conséquent, le concept et l’opérationnalisation de l’accès se déplacent et passent d’une dimension physique à une présence en ligne de même qu’à la prise en compte des capacités de collaboration et de participation qui s’inscrivant dans le mouvement des musées participatifs, inclusifs, ouverts et dans celui des OpenGLAM (Evans 2024; Salgado et Marttila 2013).

Pour une institution culturelle, le partage et l’ouverture des collections et de l’information dans l’environnement numérique apportent son lot d’enjeux et de défis ayant des effets qui dépassent la gestion du changement au sein de l’organisation. Les dimensions de gouvernance, de pouvoir, d’autorité et de contrôle qui caractérisent la tradition des musées, surtout nationaux, continuent de jouer un rôle prépondérant au plan de la gestion des collections numériques, bien que cette culture des institutions culturelles tende à bouger peu à peu en dépit des résistances (Fouseki 2013). Par ailleurs, il semble que les préoccupations anticipées au sujet de la perte de contrôle sur les collections ou d’une éventuelle réduction du nombre de visites en personne, et qui seraient tributaires de l’ouverture des contenus et des données, ne seraient pas fondées (Kapsalis 2016). L’exploration progressive de différentes plateformes wikimédiennes offre alors l’occasion de repenser et d’actualiser le positionnement éthique des musées, tout particulièrement en ce qui concerne les questions de propriété et de droit d’auteur dont dépend cet accès reconçu et élargi pour les publics. Plus précisément, l’expérience wikimédienne entraîne des débats et des négociations sur la propriété des objets, des images, des données numériques ainsi que sur la place de leurs utilisations commerciales, publiques ou encore en tant que communs. La collaboration au sein des projets wikimédiens favorise ces usages émergents qui vont refléter « la nature participative, la philosophie et l’idéologie de chaque institution muséale » [traduction] et l’état ou le degré de la transition institutionnelle (Fouseki 2013). Les différentes initiatives présentées, les trois chantiers, s’inscrivent dans ce cheminement et deviennent des marqueurs de cette identité transitionnelle du Musée à l’aune de l’ouverture et de la participation. Les trois chantiers constituent autant de cas qui témoignent des stratégies reliées à la façon d’ouvrir les collections, les informations, les données du musée ainsi qu’à la façon d’adapter les pratiques professionnelles en termes de participation, d’inclusion sociale, d’ouverture face à de nouveaux usages.

Au plan de l’évolution des besoins et des usages touchant les informations des musées, d’autres constats émergent. D’abord, le recours aux plateformes wikimédiennes et aux licences plus ouvertes qu’elles préconisent pour le contenu du patrimoine culturel numérique amplifie les possibilités pour les chercheurs et chercheuses issus de différents domaines en arts, en sciences humaines et sociales, tant pour l’accès que pour l’étude du patrimoine culturel (Terras 2015). Ensuite, on observe que la consommation culturelle numérique est également susceptible d’étendre le registre des usages « en dehors du contexte artistique attendu, permettant de nouvelles formes de consommation hédonique et utilitaire » [traduction] (Navarrete et Villaespesa 2020). En d’autres termes, les usages wikimédiens soutenus par les musées, comme le suggère le cas du Metropolitan Museum of Arts par exemple, amène une conceptualisation inédite du goût authentique qui prend en compte la consommation numérique, laquelle valorise les possibilités des usages plus informatifs d’une collection (Navarrete et Villaespesa 2020).

En outre, le MNBAQ explore également diverses collaborations afin d’élargir l’accès à la réutilisation de ses données et contenus par d’autres institutions principalement de type GLAM. Ces collaborations représentent un défi non négligeable où une stratégie de données ouvertes et liées, par l’entremise de Wikidata par exemple, apparaît comme un dispositif facilitant la recherche en « permettant aux chercheurs en humanités numériques d’établir des liens entre (et de donner un sens à) la multitude de patrimoines culturels numérisés disponibles sur la toile » [traduction] (Alexiev 2018). Or, en se fondant sur ces différentes considérations qui s’appuient sur les missions renouvelées des musées et leurs objectifs explicités en matière de démocratisation, ainsi que sur les nouveaux usages individuels, communautaires comme institutionnels, cette exploration des facettes de Wikimédia en système ouvert s’est avérée pour le MNBAQ un choix opportun, productif et durable.

La transition du Musée vers un modèle d’institution culturelle ouverte

Les trois chantiers du MNBAQ ont nécessité l’apport d’une équipe multidisciplinaire variée provenant de plusieurs secteurs au sein de l’institution : affaires juridiques, technologies de l’information, conservation, gestion des collections, conservation préventive, restauration, photographie, archives et documentation. Tel que mentionné, la finalité première était de rendre accessibles en ligne de nouveaux contenus culturels numérisés à différents publics. Très rapidement, il est apparu nécessaire de diffuser des données synchronisées, fiables et vérifiées concernant les œuvres et les artistes représentés dans les collections du MNBAQ : collection permanente, collection d’étude, collection prêt d’œuvres d’art, sans oublier le vaste volet des archives privées. Le Musée a une longue tradition de collaboration avec ses usagers et répond annuellement à un nombre grandissant de demandes d’information provenant de chercheurs ou chercheuses, d’étudiantes ou d’étudiants et aussi du grand public. Toutes ces personnes souhaitent avoir accès à des images et données descriptives des collections nationales et publiques. La diffusion de l’ensemble de la collection patrimoniale permet avantageusement de rapprocher les citoyens et citoyennes des œuvres moins exposées ou n’ayant pas nécessairement fait l’objet de recherches approfondies. On estime à environ 25 % le nombre d’œuvres et d’objets déjà exposés ou reproduits dans une publication. La diffusion en ligne de contenus permet de découvrir des éléments archivés et souvent méconnus.

En 2016, l’ajout du pavillon Pierre Lassonde a généré une fréquentation importante sur place et en ligne. C’est à l’occasion des préparatifs d’ouverture de ce pavillon que le MNBAQ a repensé l’accès à ses collections en ligne. L’intention d’élargir et d’ouvrir l’accès à nos données et nos informations s’est combinée à ce nouvel élan architectural.

Le MNBAQ est un musée d’État québécois qui possède à ce jour plus de 42 000 œuvres d’art, des milliers de documents d’archives, d’objets et de livres rares. Le catalogue répertorie plus de 4 500 artistes, collectifs d’artistes, artisans, artisanes, auteurs, autrices et autres représentés au sein de ses collections depuis son ouverture en juin 1933. Étant aussi éditeur, il a publié plus de 1 000 catalogues d’expositions et de livres en lien avec ses acquisitions, ses expositions et ses autres opérations de diffusion. Ces activités d’édition ont généré un nombre important de contenus, de données, de textes, de photographies et de documents d’archives à conserver et à partager dans l’avenir selon la législation entourant les droits d’auteur en vigueur.

La mission du Musée est de promouvoir, de faire connaître et de conserver l’art québécois de toutes les périodes, de l’art ancien à l’art actuel, et d’assurer une présence de l’art international par des acquisitions, des expositions et d’autres activités d’animation. Le Musée possède plusieurs œuvres d’art relevant du domaine public ainsi qu’un patrimoine artistique et documentaire important. Ce corpus est actuellement en processus de numérisation pour une future diffusion et un accès direct en ligne. Il paraissait logique pour le MNBAQ d’explorer des projets de diffusion Web dont les orientations et les objectifs seraient compatibles avec une approche favorisant une réutilisation par les citoyens et citoyennes ainsi que la communauté muséale, artistique et documentaire. Nous visions des projets numériques favorisant une actualisation et une synchronisation de l’information presque en temps réel ainsi qu’une souplesse de gestion et de suivi des processus au sein des équipes du MNBAQ. Comme d’autres organismes culturels, le Musée traverse depuis quelques années une période de transformation organisationnelle et technologique. Il veut atteindre une maturité numérique et une efficience par des accès multipliés grâce aux technologies et aux sciences de l’information. Il doit prendre en considération les normes documentaires, les standards d’interopérabilité, le développement du Web sémantique et des ontologies afin de parvenir à échanger et à agréger des informations à travers la réalisation de plateformes fédératrices présentement en révision (Réseau canadien d’information sur le patrimoine, Société des musées du Québec, Répertoire sur le patrimoine culturel du Québec, répertoire Artistes au Canada, etc.). Nous préparons donc le terrain en explorant le potentiel des outils Wikimédia.

À la suite des réflexions amorcées en 2018 pour l’élaboration de sa stratégie numérique et grâce au financement du Plan culturel numérique du Québec, le MNBAQ a décidé d’explorer et d’expérimenter des projets de contenus en libre accès ainsi qu’en données ouvertes considérant qu’il était un acteur muséal, documentaire et de recherche au sein de l’écosystème artistique et culturel du Québec. Le Musée gère une bibliothèque, un centre de documentation ainsi que des collections et des fonds d’archives privés dont il souhaite orienter la diffusion et la consultation vers le plus grand nombre possible d’usagers. Avant de diffuser sur des plateformes Web, il considère le cadre juridique et gouvernemental québécois et canadien : le droit d’auteur, le respect et la protection des renseignements personnels, l’accès à l’information, la divulgation proactive, etc. Un important chantier de numérisation des collections en cours depuis 2018 a déjà entraîné la diffusion de milliers d’images sur le site des collections du MNBAQ.

Tel que le mentionne Christelle Molinié du Musée de Bretagne :

En s’ouvrant aux pratiques collaboratives du Web 2.0, le travail de médiation documentaire revêt une nouvelle dimension qui favorise l’interaction, l’appropriation et la réutilisation des œuvres par le public, tout en poursuivant sa participation aux missions fondamentales muséales en termes d’étude, d’accessibilité et de diffusion des collections du domaine public et de démocratisation culturelle (Fraysse 2015).

Nous avons donc tenu compte de l’importance de l’accès gratuit et de la possible réutilisation de certaines données, d’informations publiques ou d’images libres de droits dans l’approche numérique de l’ensemble de ces chantiers au MNBAQ.

Les expériences récentes et les innovations numériques de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ) et de la Cinémathèque québécoise ont fortement influencé la réflexion du MNBAQ sur les chantiers documentaires à planifier et à tester au sein de l’organisation et pour la communauté sur le Web. Cette réflexion a mené à une approche d’ouverture, de partage libre de l’information, laquelle était jusque-là accessible uniquement dans les bases de données de l’organisation. Comme le mentionne Jessica de Bideran :

La présence sur Wikipédia repose sur deux mouvements a priori antagonistes pour une institution culturelle : d’une part, le désir d’atteindre des objectifs tangibles (de rédaction d’articles, de valorisation de fonds patrimoniaux et de visibilité de l’institution), d’autre part, la prise en compte d’une construction collaborative et évolutive de connaissances résultant des choix d’une communauté libre et autonome (2020).

Les différentes initiatives ont permis de développer de nouvelles compétences numériques et d’approfondir la sensibilisation aux enjeux de la culture libre, facilitant ainsi une meilleure articulation entre les approches muséales traditionnelles et participatives.

Premier chantier : exploration d’articles Wikipédia en français

En 2018, le MNBAQ a exploré le potentiel de Wikipédia en français en intégrant directement les articles existants sur des artistes dans la nouvelle version de son site des collections. Un survol des sites de collections de plusieurs musées d’art a démontré l’intérêt d’exploiter Wikipédia en différentes langues. Le musée Tate Modern intègre directement sur son site un lien pour chaque artiste afin de diriger l’usager vers l’article Wikipédia en version anglaise. L’approche multilingue est un réel avantage, car elle nous permet d’afficher les noms d’artistes dans leur langue d’origine – innue, japonaise, etc. – en plus du français.

Les essais et les preuves de concept ont consisté à tester un script informatique quotidien et automatisé. Ce script a permis d’actualiser une sélection de données publiques, et ce, au gré des mises à jour des contributeurs et contributrices à partir de Wikipédia en français. Une première expérience a été menée à l’été 2018 avec une sélection de 300 artistes québécois et canadiens dont les œuvres d’art sont exposées dans les pavillons du MNBAQ. Nous avons d’abord étudié le nombre et la qualité des articles présents dans Wikipédia en français. Le suivi, la veille et l’examen de ces articles ont été concluants en matière d’accès, de stabilité du script, de surveillance du vandalisme et surtout de la fiabilité des sources. Le chantier a pris son envol à l’automne 2018. Dès le départ, nous avons constaté l’importance d’offrir des formations aux membres du personnel au sujet de ce projet collaboratif afin de connaître leurs appréhensions et leurs perceptions, et d’orienter le projet selon certaines priorités : notoriété des artistes, sources publiées, œuvres exposées dans les pavillons du Musée, etc. Depuis 2019, le Musée ajoute des ébauches d’articles ainsi que des articles sur des artistes québécois et canadiens émergents avec la complicité et la collaboration de la communauté wikipédienne francophone à travers le monde. À ce jour, plus de 1000 articles en français sont liés directement à notre site des collections. Ces articles sont évolutifs et consultés par des centaines d’internautes chaque jour. On trouve autant d’articles en anglais qu’en français sur les artistes des collections du MNBAQ. Certains artistes sont représentés dans plus d’une langue. Au total, 128 langues distinctes y figurent. Cet apport multilingue est précieux afin de favoriser la visibilité des artistes québécois et canadiens. L’organisation d’ateliers animés sur la façon de contribuer à Wikipédia a débuté en 2019. Tout en discutant des mythes entourant l’encyclopédie, nous voulions rendre accessibles plusieurs sources fiables et publiées – ouvrages, périodiques, articles de journaux, etc. – de la bibliothèque du MNBAQ pour documenter les sujets ciblés par les participants et participantes. Malheureusement, la pandémie a freiné ce volet sur place des ateliers. Il sera possiblement repris dans le futur avec des thèmes pour chacun. Une collaboration de rédaction d’articles en français dans le cadre d’un cours au collégial a été lancée. Comme le mentionne Marta Severo :

Cette tendance fait partie d’un phénomène appelé sciences citoyennes. Ce terme est devenu particulièrement à la mode ces dernières années ; il vise à inclure toutes les initiatives facilitant la participation de non-professionnels à la recherche scientifique et à la construction des connaissances scientifiques (2021, 88).

Deuxième chantier : exploration de Wikidata

Un deuxième chantier lié à l’ouverture des contenus s’est ajouté en juin 2019 et qui visait à combiner au chantier Wikipédia la révision de certaines données biographiques publiques détenues par le MNBAQ dans son système de gestion des collections ainsi que dans son système intégré de gestion de bibliothèque. La comparaison, la normalisation, le nettoyage et l’actualisation des données de ces deux systèmes ont nécessité la collaboration de plusieurs collègues afin d’harmoniser celles-ci et de les comparer à celles déjà présentes dans la base de connaissances libre Wikidata. Cette base est éditée de manière collaborative et hébergée par la Fondation Wikimédia. L’élément Wikidata de chaque artiste débutant ou débutante a été intégré directement dans un des champs du système de gestion des collections du MNBAQ. Cet identifiant Wikidata permet la liaison directe des données extraites et visibles sur le site des collections et l’identification efficace des artistes grâce à des référentiels communs. Chaque élément Wikidata d’un ou d’une artiste rassemble et collige des identifiants uniques et pérennes (VIAF, ISNI), des autorités pérennes de la Bibliothèque du Congrès, de la Bibliothèque nationale de France, du Online Computer Library Center, de l’Union List of Artist Names, etc., ainsi que des liens directs vers le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, l’identifiant du Dictionnaire biographique du Canada, le site Web officiel de chaque artiste, ses réseaux sociaux, etc.

Ces données ouvertes et structurées de Wikidata sont utilisées de façon bidirectionnelle par le MNBAQ, qui importe et verse de nouvelles données au gré de ses acquisitions d’œuvres d’art. Un outil de visualisation sous forme de tableau de bord (voir ci-dessous) aide à suivre l’évolution du projet. Il facilite l’ajout de nouvelles autorités d’artistes à créer au gré des semaines tout en conservant un historique des actions. Cet outil est très important, car il améliore la gestion de l’information diffusée, la traçabilité et la journalisation des actions sur le plan de la mise à jour tant des contributeurs et contributrices externes de données que de celles du personnel du MNBAQ. Le Musée a profité de la récente mise en place d’une agence ISNI au sein de BANQ pour créer, avec la collaboration de cette institution, des identifiants ISNI pour certains artistes décédés. Nous préparons le terrain, car cet identifiant unique à portée internationale se révèle fort utile dans les projets de plateformes d’interopérabilité pour bien désigner les artistes et les collectivités et offrir la possibilité d’une chaîne de rétribution monétaire dans un avenir pas si lointain.

Figure 5.1 - Tableau de bord

Les professionnels et professionnelles de l’information, l’équipe du registrariat, les conservateurs et conservatrices du Musée ont ainsi révisé et approuvé le versement de milliers d’éléments et de propriétés dans la base de connaissance Wikidata sous licence libre. Cette tâche réalisée avec rigueur et minutie était nécessaire afin d’harmoniser les données publiques avec des sources publiées et des connaissances actualisées sur les artistes ciblés par ce chantier Wikidata. De plus, le potentiel de réutilisation de ces données par d’autres organismes ou personnes à long terme est considérable. À ce jour, les données versées dans Wikidata relient les artistes des collections du MNBAQ à plus de 1000 musées et collections à travers le monde.

Figure 5.2

Par ailleurs, ce chantier explore et précise la qualité de données et de mutualisation de contenus en accès libre. Il a suscité des échanges professionnels avec d’autres musées en Europe et aux États-Unis, et nous avons pu confirmer l’authenticité de certaines œuvres d’art en croisant les données avec celles de musées internationaux. Il assure une veille quotidienne sur plus de 7000 éléments dans Wikidata et facilite la mise à jour des données chaque jour dans nos systèmes de gestion des collections et de bibliothèque. De plus, des propriétésAide:Propriétés. Dans Wikidata.↩︎ liées à l’existence de fonds d’archivesArchives conserves par (P485). Dans Wikidata.↩︎ et de dossiers documentairesDossier d'artiste détenu par (P9493). Dans Wikidata.↩︎ sur des artistes québécois et canadiens ont été intégrées dans ce chantier Wikidata, tout comme la mention des musées québécois et canadiensCollection comprenant une œuvre de la personne (P6379). Dans Wikidata.↩︎ qui détiennent des œuvres des artistes représentés au MNBAQ. Enfin, plusieurs éléments ont été créés pour des historiens et historiennes de l’art, des musées, des galeries, des expositions, etc., afin de bien lier les données décrites dans Wikidata.

En juin 2020, un contributeur wikimédien ainsi que la communauté de Wikidata ont proposé et obtenu la création d’un identifiant unique d’un ou d’une artiste du MNBAQ. Cette propriété englobe plus de 4000 éléments et permet désormais au Musée de réaliser une veille efficace des données sur les artistes représentés dans ses collections.

Figure 5.3

De plus, le MNBAQ rejoint ainsi plusieurs musées d’art qui s’intéressent au partage de contenus et à la divulgation proactive de leurs données sur Wikidata et Wikipédia, dont le Musée des beaux-arts du Canada, le Cleveland Museum of Art, l’Art Institute of Chicago, le Smithsonian, l’American Museum of Art, le Whitney Museum of American Art, le Musée d’art Nelson-Atkins et le Musée d’art de Saint-Louis, pour ne nommer que ceux-ci.

Le fait que la communauté Wikimédia s’implique à son tour dans les projets a été un élément de motivation pour plusieurs collègues. Après trois ans de chantiers, il est possible de constater l’ampleur du travail collaboratif effectué sur les articles Wikipédia en français et sur les données Wikidata entamé par le MNBAQ. Chaque jour, plusieurs ajouts, modifications et ajustements sont réalisés sur les données, les propriétés et les textes.

Le MNBAQ collabore aussi au projet Wikidata Sum of all a paintingsWikidata:WikiProject sum of all paintings. Dans Wikidata.↩︎, qui répertorie plus de 95 000 peintures à partir des collections de musées, d’institutions publiques et de collections privées à travers le monde entier. Ce projet lie les données des artistes à leurs peintures et devient parfois l’amorce d’un catalogue raisonné où l’on trie les données chronologiquement, ou par thématique ou sujet représenté.

Ce projet a conduit en décembre 2020 à l’usage d’un nouvel identifiant sur Wikidata pour le MNBAQ : l’identifiant numérique d’une œuvre d’art sur le site web du Musée national des beaux-arts du QuébecIdentifiant MNBAQ d'une œuvre (P9091). Dans Wikidata.↩︎. Cet identifiant répertorie des données descriptives, des images, etc., pour chaque peinture détenue par le MNBAQ. Encore une fois, c’est la communauté qui a créé cet identifiant et a rendu possible la réutilisation des données. Nous effectuons des ajustements, des modifications selon les recherches de l’équipe de la conservation. Ce projet spécifique a permis de découvrir les images versées dans Wikimedia Commons au cours des années. L’intérêt des contributeurs et contributrices pour des images libres de droits de certaines œuvres de nos collections est constant. Nous versons régulièrement de nouvelles images selon les besoins des usagers et les sujets de recherche en cours.

Troisième chantier : Images dans Wikimedia Commons

Un troisième chantier est lié au potentiel de diffusion et de reproductions d’images sous licence libre. Le Musée a exploré et ciblé le versement de certaines images d’œuvres d’art, de documents d’archives, etc., dans le domaine public à partir de la médiathèque Wikimedia Commons. Le fait de permettre le téléchargement, la diffusion et la reproduction de certaines œuvres sans avoir à demander l’autorisation du MNBAQ est un grand test pour l’institution. La sélection des images pour ce chantier a été orientée vers les besoins des utilisateurs internes et externes du Musée. Avant ce projet d’intégration, l’équipe avait déjà versé des images d’œuvres d’art prises lors de leur exposition ou présentées dans les espaces publics du Musée. Les contributeurs et contributrices de Wikimedia Commons sont des photographes passionnés qui consacrent du temps à visiter des lieux et des espaces publics pour ensuite partager le fruit de leur travail pour le bien commun. Tel que le mentionne Simon Côté-Lapointe dans son article « Les documents audiovisuels numériques d’archives » :

Tout un chacun est potentiellement un expert, un créateur, un collaborateur grâce à la démocratisation des outils par le numérique comme en font foi des initiatives telles que Wikipédia, YouTube et Internet Archive. Et ceci touche tout particulièrement l’audiovisuel grâce à la démocratisation des moyens de manipulations (2019).

Pour lancer de tels chantiers de divulgation et de partage d’informations, nous avons dû accepter que les données partagées ne soient pas complètes lors des premières itérations. Le travail de documentation et d’observation a permis d’acquérir de nouvelles compétences en termes de normalisation et de standardisation des données. L’approche multidisciplinaire de l’équipe du Musée a facilité le respect de l’échéancier, l’appropriation des chantiers et l’intégration d’une nouvelle façon de travailler. Certains champs de notre base de données et leur concordance avec des propriétés dans Wikidata sont toujours en exploration : identité de genre, orientation sexuelle, nationalité versus citoyenneté, appartenance à un groupe ethnoculturel. Le réflexe est de se tourner vers les artistes concernés et de respecter leurs choix dans la divulgation ou non de certaines informations.

La portée de ces trois chantiers est tangible, car un pourcentage de référencement provient des actions numériques menées sur Wikipédia, Wikidata et Wikimedia Commons. On constate, grâce à des requêtes et des outils d’analyse, qu’un nombre croissant de consultations du site des collections proviennent directement de ces projets.

Figure 5.4

Discussion et conclusion

En résumé, ces chantiers exploratoires mettent en place une base de connaissances numérique chez le personnel afin qu’ils puissent s’initier à l’éditorialisation de contenus sur le Web. Il faut prévoir un alignement pour le Web sémantique et des ontologies qui devront s’implanter dans le milieu patrimonial et culturel au cours des prochaines années. Un autre bénéfice est notable : la conversation avec les internautes est plus riche depuis la mise en ligne des collections, car ceux-ci participent directement à la documentation par leurs commentaires et leurs échanges avec le Musée. De plus, certaines données versées par le MNBAQ dans Wikidata rejoignent déjà d’autres projets en cours au sein de la communauté culturelle du Québec et du Canada sur les arts de la scène, les arts littéraires, dont certains projets collaboratifs dans des régions du QuébecVoir à ce sujet le chapitre « Le WikiClub Croissant Boréal » d’Émélie Rivard-Boudreau.↩︎. Cet effort des communautés de pratique montre la volonté d’assurer pour chacun et chacune – à partir de leurs bases de données, de la documentation et des sources publiées – une meilleure visibilité des contenus culturels québécois tout en s’appropriant des principes de normalisation et de futures interopérabilités à travers différentes disciplines. Des expérimentations comme celles des chantiers wiki au MNBAQ rapprochent petit à petit l’usager d’une nouvelle mutualisation, des humanités numériques et du potentiel de visualisation et d’édition de ses données et métadonnées. La valeur de l’information dans une institution muséale ne fait que s’accroître grâce à ce type de projets en contenu libre à travers les apprentissages numériques réalisés. Ces chantiers tracent la voie vers l’intelligence collective et collaborative tout en valorisant les savoirs détenus par une organisation et en consolidant l’engagement dans le mouvement du libre accès et des OpenGLAM.

Références
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