Dans une société aussi spécialisée que la nôtre, il s’avère périlleux de définir la notion de « pratique amateur », surtout quand il s’agit de se pencher sur les pratiques sonores, rarement étudiées sous un angle autre que technique, et sur les pratiques musicales. L’essence même de la musique, cette combinatoire des sons, cet art si singulier, ne cesse de susciter réflexions et débats chez les philosophes et les ethnomusicologues [1]. Cependant, la définition première du nom amateur permet de mettre l’essentiel en perspective : l’amateur est une « [p]ersonne qui aime, cultive, recherche (certaines choses). Un amateur de musique [2] ». Vers 1762, l’amateur se distingue du professionnel puisqu’il « cultive un art, une science, pour son seul plaisir (et non par profession) [3] ». Si la seconde définition est axée sur l’importance du plaisir, elle se voit sensiblement détournée alors que l’expression « un talent d’amateur » est illustrée péjorativement par une citation de Sartre à propos d’« un amateur qui barbouille des toiles le dimanche [4] ». Cette remarque de la part du philosophe ne s’applique pas à l’amateurisme en musique ; le terme « musicien amateur » est mentionné sans davantage d’explications. Du côté des sports, l’amateur apparaît vers 1859 : il s’oppose au professionnel puisqu’il ne reçoit aucune rémunération pour pratiquer son sport. Ce type de division n’existe pas vraiment en musique. Finalement, le sens péjoratif du terme « amateur » est explicite lorsque l’on dit d’une activité menée avec négligence que « c’est un travail d’amateur [5] ». Cela ne correspond pas à la conception de l’amateur que nous mettrons en avant dans ce chapitre consacré à des pratiques passionnées qui s’approprient le sonore, le plus souvent la musique, et que nous nommons « pratiques sonores amateurs ».
Nous verrons combien le travail des amateurs publié en ligne est diversifié, ce qui suppose l’existence d’une grande variété de praticiens rarement répertoriée dans les travaux des musicologues. Dans un article qui cherche à définir un monde commun entre les pratiques professionnelles et amateurs en interprétation musicale, Pierre François montre la difficulté de cerner la figure de l’amateur en dressant l’historique de la division du travail musical entre le virtuose, le professeur et le musicien amateur [6]. S’il s’intéresse à la pratique musicale pour laquelle l’amateur détient un savoir-faire technique exigeant, il met en lumière un aspect important pour nos travaux : ces pratiques sont généralement étudiées par des professionnels préoccupés par la performance interprétative ou technique, ce qui pose un problème d’appréciation [7].
Les pratiques sonores amateurs en ligne, très créatives, libres, sont rarement axées sur la performance interprétative ou technique. Elles ressortent davantage de la pratique d’un loisir que l’on associe à la définition du musicien amateur ou de l’amateur de musique. En ligne, des musiciens amateurs côtoient des bricoleurs du son ; des passionnés de musique côtoient des passionnés de l’image qui manipulent aussi la musique pour exprimer leur créativité, etc. Comme la « signification musicale » s’avère très sensible à la moindre variation (contexte de réception, enjeux interprétatifs, etc.), les nouvelles pratiques en ligne transforment constamment la musique, même quand un enregistrement célèbre est repris de manière intégrale [8]. Les praticiens du son, qui proviennent donc d’horizons très diversifiés, contribuent ainsi à créer des pratiques hybrides qui confrontent la musique à des contextes susceptibles de la transformer de manière significative.
Pour notre propos, le rôle déterminant du Web sera le principal critère de sélection des pratiques sonores répertoriées. Par exemple, la capsule d’un amateur qui se contente de rendre disponible son interprétation musicale ne crée pas un nouveau genre en ligne, ne réinvente pas une pratique ; il n’offre que la possibilité d’une écoute en différé. Nous examinerons plutôt les pratiques qui n’existeraient pas sans les nouveaux moyens techniques associés au Web. Si ladite interprétation du musicien amateur est mise en scène dans un film connu, ou juxtaposée à une peinture célèbre par le truchement de la réalisation maison d’une capsule Web, nous chercherons à comprendre dans quelle mesure cette pratique impliquant le sonore témoigne d’une esthétique particulière. Les objets présentés ici seraient assez riches ou complexes pour être abordés sous plusieurs angles. Cependant, nous choisissons de présenter une seule fois chaque objet en le classant dans la catégorie qui met le plus en valeur sa créativité.
Si nous décrivons uniquement deux ou trois objets pour permettre de cerner le fonctionnement des catégories proposées, nous proposerons nombres de liens vers des objets semblables.
Merci à Mme Alexuta et M Duplessis pour leur contribution.